Pierre de Régnier, fils de Pierre Louÿs, Henri de Régnier et Marie de Heredia, est l'auteur d'une œuvre courte mais très estimable qui comprend notamment les recueils poétiques Erreurs de jeunesse (1924) et Stances, instances et inconstances (1926), l'essai La Femme (1928), ainsi que les romans Colombine et la grande semaine (1929) et et La Vie de Patachon (1930). Pierre de Régnier a aussi donné dans le journalisme, notamment dans la revue Candide. Dans le numéro du 1er novembre 1925, un Pierre de Régnier enthousiaste consacre un article à la Revue nègre du Théâtre des Champs-Élysées qui rendit célèbre Josephine Baker et introduisit le jazz en France. Livrenblog a publié des extraits de cet article consacré à cette revue inédite révolutionnaire.
Affiche originale de la Revue nègre de 1925 dessinée par Paul Colin.
On en a déjà beaucoup parlé. Il y a des gens qui y sont retournés deux fois et même six. Il y en a d'autres, qui se lèvent brusquement au bout de deux scènes et qui s'en vont en claquant les portes, en criant au scandale, à la folie, à la déchéance, et au culte des divinités inférieures.
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La Revue commence à dix heures et quart.
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Tout Paris est là dans la salle éteinte.
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Et les musiciens de l'orchestre nègre portant leurs instruments, défilent un à un dans l'obscurité devant le rideau gris perle.
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Et le rideau se lève.
Un port, la nuit, très loin, là-bas... des cargos illuminés, la lune, des marchandises sur le quai... et des femmes en chemise, ou en robes, si vous voulez, coiffés de madras, entrent, les unes derrière les autres, pour chanter une petite chanson. Ce sont les girls, qui, à la scène, ont toutes l'air, sauf une, presque blanches.
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Charleston.
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C'est alors qu'entre en scène, très vite, un personnage étrange, qui marche les genoux pliés, vêtu d'un caleçon en guenilles, et qui tient du kangourou boxeur, du sen-sen gum et du coureur cycliste.
Joséphine Baker par Paul Colin.
Joséphine Baker.
Est-ce un homme ? Est-ce une femme ? Ses lèvres sont peintes en noir, sa peau est couleur de banane, ses cheveux déjà courts, sont collés sur la tête comme si elle était coiffée de caviar, sa voix est suraiguë, elle est agitée d'un perpétuel tremblement, son corps se tortille comme celui d'un serpent ou plus exactement il semble être un saxophone en mouvement et les sons de l'orchestre ont l'air de sortir d'elle-même ; elle est grimaçante et contusionnée, elle louche, elle gonfle ses joues, se désarticule, fait le grand écart et, finalement, part à quatre pattes, avec les jambes raides et le derrière plus haut que la tête, comme une girafe en bas âge.
Est-elle horrible, est-elle ravissante, est-elle nègre, est-elle blanche, a-t-elle des cheveux ou a-t-elle le crâne peint en noir, personne ne le sait. On n'a pas le temps de savoir. Elle revient comme elle s'en va, vite comme un air de one-step, ce n'est pas une femme, ce n'est pas une danseuse, c'est quelque chose d'extravagant et de fugitif comme la musique, l'ectoplasme si l'on peut dire, de tous les sons que l'on entend.
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Et voici le final.
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Une boîte de nuit.
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Une danse barbare dansée par les girls et par Joséphine Baker. Cette danse, d'une rare inconvenance, est le triomphe de la lubricité, le retour aux mœurs des premiers âges : la déclaration d'amour faite en silence et les bras au-dessus de la tête, avec un simple geste en avant avec le ventre, et un frémissement de tout l'arrière-train. Joséphine est entièrement nue, avec un petit collier en plumes bleues et rouges autour des reins, et un autre autour du cou. Ces plumes frétillent en mesure et leur frétillement est savamment gradué.
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Joséphine qui tourbillonne dans son plumage, les girls qui hurlent et le rideau tombe, sur un roulement pharamineux de la batterie et un coup de cymbale définitif.