lundi 13 février 2012

Parvulesco, Rohmer et le genou de Claire

On connaît bien les liens qui ont uni l'écrivain Jean Parvulesco au cinéaste Éric Rohmer. Une amitié qui a débuté le 15 janvier 1950, comme l'affirmait Parvulesco dans un entretien donné quelques jours après la mort du réalisateur du Genou de Claire. Dans son roman Bal Masqué à Genève (1999), Jean Parvulesco évoque dès l'incipit une scène de ce film - qui met en scène la jeune Aurora Cornu (présente dans le roman Un retour en Colchide). Un incipit mystique qui n'étonnera guère l'habitué de Jean Parvulesco.

rohmer genou de claire
Jean-Claude Brialy dans Le Genou de Claire.

Maintenant je peux le dire, je n'avais pas mis longtemps à l'apprendre, ou en tout cas pas trop longtemps : il n'y avait rien de plus menteur que le temps sur le lac Léman, et cela à Genève surtout et dans les alentours immédiats de Genève.

Or quel est donc, à Genève, le mystère de cette angoissante, de cette dangereuse incertitude du temps qu'il fait, du temps qu'il fera ? Ces considérations ne sont guère oiseuses, ni parasitaires, et encore moins niaises. Car là, toute clarté peut être tenue d'avance pour meurtrière, et jamais la radieuse limpidité d'un jour d'été se levant comme un premier commencement du monde sur les Roseraies de la Grange ne finira autrement que dans les ténèbres enflammées de l'orage, qui rompent le jour et l'obscurcissent jusqu'au noir sans retour, alors que, d'autre part, l'aube, les matinées remplies de brumes équivoques et persistantes, d'un jaune noirâtre et sale, prenant, parfois, les allures sulfureuses de je ne sais quelle vision empruntée aux cauchemars des somnolences à demi éveillées, où des glissades au ralenti nous portent le long de troubles chenals aventureux à Bornéo, ou dans les îles de la Sonde, cessent le plus souvent de continuer sur la lancée de leur prédestination d'obscurité et d'orage pourpre et noir pour se transformer, comme par enchantement, vers le milieu de la journée, en de paisibles et lumineuses stations sur le lac d'un vert profond, tailladé au loin par de longues barres scintillantes.

laurence de monaghan genou de claire
Laurence de Monaghan dans le rôle de Claire.

On se souvient peut-être encore d'une brève séquence du Genou de Claire d’Éric Rohmer, brève, trop brève dirais-je, mais de quelle insoutenable beauté tragique, donnant à voir la naissance d'une tempête d'été sur le lac Léman, mais à Annemasse. Si le déchaînement des éléments y devient vite extrême, et la menace fondamentale qui s'en dégage est celle du vertige même de la ruée formidable, ensauvagée, vers l'indifférencié, vers l'obscurcissement et l'oubli le plus vide et le plus noir, une certitude subsiste néanmoins quant au retour proche ou lointain du jour, et dans l’œuvre d'Éric Rohmer c'est bien de cette certitude du retour du jour, essentiellement mystique et spirituelle, que résulte le brusque avènement du chant. Car il y a chant, il y a toujours chant chez Éric Rohmer, chant qui embrase tout et qui sauve tout, qui établit le mouvement salvateur, le passage dramatique du jour vers la nuit mais aussi et peut-être bien plus encore vers le jour du plus profond de la nuit.

Par contre, la leçon des ténèbres qui se dégage de la montée de l'orage sur le lac de Genève même est celle d'un enseignement sans merci ; le clair milieu du jour une fois atteint, la nuit de tardera plus à revenir, la plus grande nuit, et gare à celui qui s'éloignera du jour avant que l'heure n'en soit venue, car cet éloignement, alors, ne saurait être que porteur des fruits les plus détestables de l'impuissance et de l'oubli, d'une irréparable diminution ontologique appelée - toujours - à finir dans les petites cendres du non être.

jeudi 9 février 2012

Takashi Miike - Ninja Kids (2011)

miike ninja kids
La même année que Hara-kiri, film pour festivals, Takashi Miike réalise un film pour enfants : Ninja Kids, une adaptation du manga de Sōbē Amako, Rakudai Ninja Rantarō, déjà adapté en dessin animé (près de 1500 épisodes depuis 1993) et en jeu vidéo ! Bref, de la référence bien nippone presque assurée de rapporter de l'argent, comme pour l'adaptation de Yatterman en 2009. D'ailleurs, comme Yatterman, Ninja Kids est loin d'être chef-d’œuvre malgré quelques scènes agréables. Il s'agit tout au plus d'une comédie très "manga-esque" (c'est le but) pour jeunes enfants.

miike ninja kids
miike ninja kidsDécors extérieurs et décors carton-pâte.

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Seishiro Kato alias l'apprenti ninja Kantaro.

miike ninja kidsmiike ninja kidsLes Ninja Kids !

L'histoire : le très jeune Rantaro (joué par Seishiro Kato qui aurait commencé sa "carrière" dès l'âge de 13 mois !) rejoint une école de ninja. Ensuite, il n'y a pas vraiment d'histoire, à part des combats entre ninjas, des scènes de leçons de combat et une sorte de défi final pour sonner une cloche... Le tout filmé dans des décors de studio intentionnellement kitchissimes, avec des méchants ninjas qui portent des masques ridicules (dans le style des masques des braqueurs de banques dans Point Break). On est très très loin des films de yakuzas de la fin des années 1990 !

miike ninja kids
miike ninja kidsUne histoire de coiffeur.

Ninja Kids est assez ennuyeux au bout d'une heure mais le film a visiblement eu suffisamment de succès pour que Hollywood en prépare un remake. A part ça, il n'y a pas grand chose à dire, sauf à rappeler que Takashi Miike est vraiment de plus en plus décevant. Quand réalisera-t-il à nouveau un bon film ?


Bout de scène de Ninja Kids : le lancer d'étoile de ninja.

lundi 6 février 2012

Sono Sion - Utsushimi (2000)

Sono Sion utsushimi
Alors que l’œuvre de Sono Sion est de plus en plus reconnue et diffusée dans le monde (son dernier film Himizu a été primé à la Mostra de Venise tandis que Cold Fish et Guilty of Romance ont au moins été projeté dans plusieurs salles françaises), il est également de plus en plus aisé de visionner les premiers films du réalisateur nippon. Il y a encore quelques mois, il était mission impossible pour un occidental de voir les films de Sono Sion sortis avant Suicide Club, en 2001. Ce qui constitue tout de même six courts métrages et quatre longs métrages (disponibles dans le coffret DVD "Sono Sion Early Works Before Suicide") ! On a déjà chroniqué ici The Room et I Am Keiko. Avant de s'attaquer à son premier long métrage, Bicycle Sighs, c'est le tour d'Utsushimi.

Sono Sion utsushimi
Moi, Sono Sion...
Sono Sion utsushimi Araki
Noboyusji Araki en pleine séance photo.

Dans un entretien réalisé en février 2010, Sono Sion évoquait ce film, "un semi-documentaire sur la pratique photographique d'Araki et en même temps une fiction érotique et dramatique". Utsushimi est en effet un film un peu bâtard entre la fiction et le documentaire. Le film est présenté comme "un film sur le corps humain", tourné au début de l'année 1999.

Sono Sion utsushimi Araki
Araki : le maître en scène !

L'aspect documentaire, d'abord. Sono Sion filme le travail de trois personnalités : le célèbre photographe érotomane Noboyushi Araki, le danseur de butoh Akaji Maro et le couturier Shinichiro Arakawa. A vrai dire, Sono Sion filme surtout une séance photo d'Araki, au cour de laquelle il photographie une dizaine de femmes nues, le tout, sans censure pixelisée. Araki est un peu excité, il transpire, il shoote frénétiquement. Une impulsivité qui tranche avec la retenue des cours de danse d'Akaji Maro et la médiation des créations de vêtements de Shiniricho Arakawa. Pour l'anecdote, notons qu'Akaji Maro apparaît dans d'autres films de Sono Sion, dont The Room et Suicide Club, mais également dans des films de Takashi Miike et Shinya Tsukamoto !

Sono Sion utsushimi Araki
Encore un chef-d’œuvre pour Araki !

Sono Sion utsushimi
Plan-culotte : un classique pour Sono Sion, bien avant Love Explosure.

L'aspect "documentaire ses les tournages du film", ensuite. Comme pour marquer une transition entre le documentaire et la fiction, Sono Sion se met en scène, lui et son équipe, lors des répétitions d'Utsushimi. Avec beaucoup d’auto-dérision, Sono Sion met en scène une équipe fatiguée qui répète dans une tension palpable, jusqu'au départ du directeur de photographie qui part sans laisser de trace, après avoir divorcé de sa femme - qui participe évidemment aussi au tournage du film ! Un passage assez comique.

Sono Sion utsushimi
Un faux flot de sang.

Sono Sion utsushimi
L'héroïne sort d'un faux sexe féminin en pleine rue.

La fiction, enfin. Sono Sion reste dans le comique - même dans la potacherie. Délibérément filmé de manière approximative et je-m'en-foutiste (la perche du preneur de son ostensiblement visible sur plusieurs plans, des moitiés de corps de membres de l'équipe apparaissent de ci de là, etc...), Utsushimi tranche avec l'esthétisme sobre de The Room et le minimalisme d'I Am Keiko. Loin d'être sobre, le film ressemble plutôt à un film de fin d'année d'étudiants bourrés ! C'est comique, un peu bête, parfois grotesque, comme cette scène où les deux personnages principaux sont munis de sexes géants et courent en pleine rue. L'histoire est somme toute assez simple : une lycéenne décide de perdre sa virginité avec un cuisinier dont elle est amoureuse. S'ensuivent quelques marivauderies classiques.

Œuvre très barrée, Utsushimi n'atteint pas les sommets mais comportent de bonnes scènes, notamment le shooting d'Araki, les coulisses du film et la scène d'amour entre les deux personnages principaux. Le reste est ultra-potache. Utsushimi n'est donc pas destiné à tous les publics !