lundi 29 décembre 2008

Un chef d'oeuvre de 2009 ?

Sono-Sion-Love-Exposure
Poète, scénariste et cinéaste japonais, Sono Sion a notamment réalisé deux films cultes, à savoir Suicide Club (2002) et Noriko's Dinner Table (2005). Le premier aborde un phénomène particulièrement inquiétant au Japon: le suicide collectif. La première scène du film montre 52 lycéennes se jeter sous un train dans la station de Shinjuku (le Châtelet-Les Halles tokyoïte). La vague de suicide ne fait que commencer... S'ensuit une enquête policière pour déterminer si ces suicides ne sont pas orchestrés par une seule et même personne ou un groupuscule baptisé "Suicide Club". Noriko's Dinner Table, chef-d'œuvre de 2h30, est le pendant de Suicide Club. Sono Sion filme l'éclatement d'une cellule familiale quand la fille aînée d'une famille sans histoire fugue à Tokyo et en donne aucun signe de vie. A-t-elle rejoint le Suicide Club ? S'est-elle suicidée à Shinjuku ? Son père mène l'enquête et découvre bientôt que sa fille a changé d'identité et vend ses services au sein d'une étrange entreprise qui s'engage à reproduire l'illusion d'une famille à des gens seuls et désespérés. Dérangeant et excellemment mis en scène.

Cette année, Sono Sion livre Love Exposure, un opus d'une durée de 4 heures. Le scénario: Elevé par un prête catholique castrateur, Yu se révolte un beau jour contre son éducation en devenant voyeuriste et en prenant des photos du dessous des jupes des filles. Il rencontre un jour Yoko, une jeune fille dont il tombe tombe éperdument amoureux. En découvrant que Yoko a été élevée au sein d'un mystérieux culte religieux, Yu décide de tout faire pour la sauver...

Après la famille et le monde du travail, Sono Sion s'attaque donc à la religion et à l'éducation. Espérons que Love Exposure soit un aussi bon cru que Noriko's Dinner Table... et qu'il sorte au moins dans une salle française. Et pourquoi pas une sélection au festival de Cannes ?


Et une référence vestimentaire à La Femme Scorpion en prime...

vendredi 26 décembre 2008

Carlos Larronde et l'érotisme au cinéma

Carlos Larronde (1888-1940) fut poète, critique littéraire, pionnier de la radio-diffusion et père de son fils (Olivier Larronde, poète de renom). Cet ami de Saint-Pol-Roux a publié dans Le Mercure de France du 15 décembre 1932 un article très intéressant sur le cinéma. Plus particulièrement sur l'érotisme au cinéma et la représentation physique des acteurs. Trois phrases extraites de son article pour situer la posture de Carlos Larronde :

"Il est surprenant que la caméra ne provoque pas plus de divorces."

"Depuis que le septième art triomphe, les étoiles ont des sexes."

"Une salle de cinéma, quel temple de l'érotisme !"

jean harlow nudeJean Harlow (1911-1937): femme fatale de la MGM prête à conquérir le Monde.

Voici donc de larges extraits de l'article "L'Erotisme au cinéma":

L’écran est la glorification du visage humain. Comment n’aurait-il pas engendré une sorte de fanatisme ? Nous avions la beauté théâtrale, mais fondue dans un ensemble, entourée d’un halo. Sarah Bernardt, c’était une attitude sous un voile. On subissait l’emprise de sa voix plus que celle de ses traits. Envoûtement redoutable. La compagne d’un de mes amis avait eu un amour enfantin pour Sarah. Elle se disait guérie. Un jour qu’ensemble ils assistaient à une représentation de Phèdre, la jeune femme apparut bouleversée. Elle braquait, d’une main tremblante, ses jumelles sur l’idole. Son compagnon n’existait plus. Ce fut un drame.

Très différente est l’attraction de l’écran. Il offre à l’enthousiasme, à la critique, des figures amplifiées. Les « gros plans » de Valentino ou de Greta Garbo sont dans le domaine public ; on les adule ; on les analyse ; on les discute. Alors qu’une actrice de théâtre apparaît comme un être charnel, odorant, une vedette de cinéma, c’est d’abord une image. C’est surtout un type de beauté. Écoutez une conversation où défilent les étoiles des deux sexes. Parle-t-on de leur talent ? Neuf fois sur dix, on disserte de leur physique et les déclarations: « j’adore », « je n’aime pas », « je préfère », s’accompagnent de commentaires précis sur un ne et des jambes. L’anatomie de stars est un bien commun. Nous avons tous un droit de contrôle sur leurs charmes. Qu’un embonpoint fâcheux - ce qu’à Dieu ne plaise! - vienne à empâter Dolorès del Rio, nombre de couples enclins aux chamailles se mettront d’accord pour le déplorer.

Marlène et sa cigarette. Un symbole phallique qui part en fumée depuis quelques années.

Depuis que l’écran existe, la perfection physique, et surtout féminine, est devenue le sujet d’un perpétuel débat. Un concours de beauté, en permanence, est ouvert, - que dis-je ? Une cour d’amour, - dans laquelle chacun apporte des suffrages passionnés. Et comme de nouveaux astres, chaque année, pénètrent dans le champ, la compétition n’aura pas de fin. L’avènement de Marlène Dietrich fut pour un hebdomadaire l’occasion d’interroger ses lecteurs: « Qui préférez-vous, d’elle ou de Greta ? » Dans une époque à certains égards peu qualitative, l’esthétique du visage et du corps est devenu un problème primordial. […] Il est surprenant que la caméra ne provoque pas plus de divorces. […]

Depuis que le septième art triomphe, les étoiles ont des sexes. Étoiles humaines qui offrent à l’existence popote, à la fidélité rageuse, un contraste éblouissant. Tout homme possède, au moins par les yeux, son harem. L’écran a créé une véritable courtisanerie optique, d’autant plus puissante que ce gars robuste et dépoitraillé, cette blonde princesse en chemise, sont intangibles, comme les idoles.

Une salle de cinéma, quel temple de l’érotisme ! […]

Le mystère de Greta Garbo ?

L’amant universel, jadis, était le poète.

Il est détrôné aujourd’hui par l’universelle maîtresse, la star de cinéma.

« Sex-appeal »! C’est dans le programme et dans l’esthétique du septième art. il faut qu’une actrice non seulement soit jolie, bien habillée, bien dévêtue et qu’elle ait - tout de même - du talent, il faut qu’elle soit, pour un nombre important de spectateurs, excitante. […]

Le sex-appeal: une griserie esthétique-cérébrale. L’attrait de l’impossible, d’un impossible qu’on accepte et qu’on chérit. Je ne serai pas étonné que le cinéma contribue à réveiller chez l’homme le respect de la femme. Même familière, elle y demeure idole.

kirsten dunst nude
mary elizabeth winstead nudeBlonde ou brune, Kirsten Dunst et Mary Elizabeth Winstead, ou l'érotisme du cinéma des années 2000 (made in USA). Les Français se consolent avec Ludivine Sagnier et Mylène Jampanoï.

La « vamp » se refuse. Frigide ou inquiétante, elle agenouille. On l’adore ou on la tue. « Le secret de Greta Garbo » est pour les hebdomadaires spécialisés un thème inépuisable. Je crois l’avoir pénétré.

Ce n’est pas un secret d’alcôve. La vedette suédoise est la seule artiste de l’écran qui possède - à son insu peut-être - de grandes possibilités spirituelles. C’est une mystique en puissance, qui se cherche et n’est pas trouvée. C’est une enchanteresse déçue.

Il paraît qu’un jeune homme, en voyant pour la première fois Greta Garbo, eut envie de devenir poète.

Même si le fait n’est pas exact, il ramène l’érotisme à son véritable plan: Désir, âme du monde !

samedi 20 décembre 2008

John Coltrane au Japon en 1966

john coltrane live in japan
1966. John Coltrane. Année charnière. Le jazz. La mystique. Juillet à Tokyo. Au Japon, donc. Deux ans après les Jeux Olympiques. Un de ces moments où l'Histoire, avec un grand H, se joue. Ce texte commence comme le plus mauvais bloc-note du guignol malheureusement français Bernard-Henri Levy. Mais vos yeux souillés de cette basse prose seront lavés par la suite, consacrée au musicien John Coltrane et à sa tournée au Japon en juillet 1966.

En 1965, John Coltrane, auréolé du succès de A Love Supreme, s'oriente de plus en plus vers le free jazz. Pour des raisons de désaccords artistiques, le quartet de Coltrane se retrouve remodelé. Ainsi le pianiste McCoy Tyner est remplacé par Alice McLeod (future Madame Coltrane) et le batteur Elvin Jones cède sa place à Rashied Ali. Pharoah Sanders intègre lui aussi le nouveau groupe de Coltrane qui se produit le 28 mai 1966 au Village Vanguard devant un public interloqué par le nouveau son plus sauvage et les réinterprétations libres de morceaux originaux. Les oreilles ne sont pas encore habituées.

john coltrane
Du 8 au 24 juillet 1966, le quintet de Coltrane joue au Japon. Les concerts des 11 et 22 juillet ont été enregistrés et vous pouvez vous les procurer ci-dessous. Les titres s'étirent et laissent place à l'improvisation sans que cela vire au n'importe quoi. De fait, quand le jazz libre est exécuté par des très bons musiciens, le résultat est souvent sublime. C'est le cas ici, où les titres naviguent entre extatisme, colère, rêverie (le piano sur "Peace On Earth" n'est pas sans rappeler Debussy) et bien d'autres choses que les mots ont peine à décrire. Du Grand Art.

john coltraneJohn et Alice Coltrane, mariés en août 1966, après la tournée nippone.

Musiciens:
John Coltrane: saxophones soprano, alto et ténor ; clarinette basse, percussions
Alice Coltrane: piano
Pharoah Sanders: saxophones alto et ténor, clarinette basse, percussions
Jimmy Garrison: basse
Rashied Ali: batterie

CD 1 ici
1. Afro Blue (38:48)
2. Peace On Earth (26:25)

CD 2 ici
1. Crescent (54:33)

CD 3 ici
1. Peace On Earth (25:06)
2. Leo (44:50)

CD 4 ici
1. My Favorite Things (57:19)

jeudi 18 décembre 2008

Ugoboss: la rétrospective

ugoboss roi heenok
Ugoboss (ou Ugolepatron) est un rappeur montréalais membre du collectif Gangster & Gentleman, qui comprend le Roi Heenok, Rapiso, Kinimod, Lynn et Tony Danza. Ugoboss est né à Lima au Pérou. Il grandit au sein d'une famille rongée par la corruption, la drogue et la violence. Selon ses dires, Ugoboss est battu par son père "jusqu'à l'âge de sept ans tous les jours pour rien... pour le simple plaisir". L'enfer se poursuit pour lui quand son père poignarde sa mère. Ambiance...


Ugoboss raconte sa rencontre avec le Roi Heenok.

Ugoboss va persévérer dans la rue et devenir "un calibre dans la cocaïne". Il rencontre le Roi Heenok, alors un jeune entrepreneur, qui vient de fonder le collectif Gangster & Gentleman pour percer dans l'industrie du rap français. Avec Kinimod, le frère du Roi Heenok, il créé le duo Kinimod et Ugoboss, qui semble avoir enregistré un seul morceau ("Une Équipe Hors Pair") mais qui clame avoir un album prêt à la vente (Hors La Loi A Temps Plein). Malheureusement, le 6 septembre 2004, Kinimod est victime d'un accident de voiture quelques jours après l'achat de sa berline de luxe. Il perd l'usage de ses jambes. La longévité du duo est fort compromise.


La définition du "rap mongol" par Ugoboss.

Ugoboss participe aux deux albums du Roi Heenok, Propagande Américaine en 2005 et Cocaïno Rap Musique Volume 1 en 2007. Ce dernier album a été réédité avec six nouveaux morceaux en 2008. Comment qualifier le rap délivré par Heenok, Ugoboss et consort ? Médiocrité ou génie ? Second degré ou véritable stratégie de criminels ? Difficile à dire. Voici venu le temps du rap mongol, concept heenokien. Montréal, Rive Sud, t'entends ?


Ils sont tous sur l'hydroponique !

Les membres de Gangster & Gentleman sont, en plus d'être des artistes, des poids lourds dans la criminalité. Vente de crack, trafic d'hydroponique et possession d'armes à feu sont leur quotidien. Par extension, Gangster & Gentleman apporte sa contribution au courant controversé du gangsta rap, très en vogue depuis le milieu des années 80 avec des artistes américains tels qu'Ice T, NWA, Snoop Doggy Dogg, Raekwon The Chef, 2-Pac et plus récemment 50 Cent. L'outrance et le ridicule se côtoient allègrement dans le gangsta. Heenok et Ugoboss ne dérogent pas à cette règle.


Ugoboss: jamais sans son flingue...

Le succès de Gangster & Gentleman s'est intensifié après la sortie du documentaire Les Mathématiques du Roi Heenok en janvier 2008. Réalisé par Kourtrajmé, le film montre l'univers du Roi Heenok et de ses associés. N'hésitant pas à brandir diverses armes à feu et à exhiber plusieurs grammes d'hydroponique, Heenok & Co se sont attirés les foudres de la police québécoise qui, après le visionnage du film, a fait une descente de police au Château Saint Ambroise, le studio d'enregistrement du Roi. Arrêté avec Rapiso pour vêtements volés, détention d'armes à feu et de substances illicites, Heenok est libéré quelques jours plus tard grâce à "ses avocats juifs". Quelques semaines plus tard, le 10 juin, Heenok se produit à Paris au Social Club, en compagnie d'Ugoboss, Lynn et Tony Danza.


"On est derrière la caméra mais on est légal" ou la logique fascinante d'Ugoboss.

La carrière d'Ugoboss suit son cours et la sortie de l'album Hors La Loi A Temps Plein du duo Kinimod et Ugoboss est prévue pour bientôt selon les dires d'Ugoboss dans le DVD Cocaïno Rap Musique. Étant donné la minceur de l’œuvre d'Ugoboss jusqu'ici (pas plus de dix couplets en quatorze ans de rap), on est en droit de douter. Car les membres de Gangster & Gentleman ont la particularité d'exister en tant qu'artistes mais de ne proposer presque aucune œuvre. Un bon concept. Ugoboss ou le rappeur sans album.


Les confessions d'Ugoboss sur son enfance, le crime, le rap et le Roi Heenok.

dimanche 14 décembre 2008

Andrey Iskanov - Philosophy Of A Knife (2008)

Andrey-Iskanov-Philosphy-of-a-Knife
"Dieu a créé le Paradis, l'homme a créé l'Enfer", telle est la phrase choc inscrite sur le poster du troisième long-métrage du réalisateur russe Andrey Iskanov. Ce dernier s'est fait connaître en 2003 avec un premier opus remarqué dans le cénacle du cinéma d'horreur, Nails, qui narre les péripéties d'un homme qui se plante des clous dans le crâne pour atténuer des maux de tête. Iskanov développe un cinéma sans concession et assez dérengeant graphiquement. Le Russe n'hésite guère à provoquer le spectateur en lui montrant des scènes violentes en gros plans...

Andrey-Iskanov-Philosophy-ofèaèKnifeCette infirmière joue de la guimbarde pendant que derrière elle, un "médecin" découpe une tête à la hâche...

Philosophy Of A Knife est un film historique de 4h30 qui tient autant du documentaire que de la fiction. Entre 1937 et 1945, en Mandchourie, le gouvernement japonais à ouvert un camp d'expériences scientifiques surnommé Unité 731. En résumé, pour rivaliser avec les avancées scientifiques américaines et européennes, le Japon a décidé d'ouvrir un camp où des expériences sont pratiquées sur des humains, au mépris de toute éthique et toute humanité. Iskanov mêle images et films d'archives, témoignage d'un médecin russe qui a participé au procès de ces bouchers nippons et reconstitutions "fidèles" de ce qui se passait dans les laboratoires de l'Unité 731. Le film est ainsi en grande partie en noir et blanc, et Iskanov, comme Tarantino pour Death Proof, maltraite sa pellicule pour la rendre "datée". Heureusement pour le spectateur, le noir et blanc atténue l'horreur des images, qui ne sont pas ici saturées de rouge sang ou autres vives couleurs organiques.

Andrey-Iskanov-Philosophy-of-a-KnifeDeux prisonnières qui vont en baver...

Le lot des horreurs est quand même conséquent et on a le droit d'être mal à l'aise devant certaines scènes, en concevant qu'elles sont crédibles et qu'elles pouvaient être bien pires dans la réalité... Césarienne sans anesthésie, visage passé aux rayons radioactifs, inoculation de maladies diverses dont la peste, tests de résistance au froid, tests de résistance à la douleur, amputations, vivisections, etc... Tout ceci est malheureusement vrai. De plus, le film est long et lent. Il n'y a aucun dialogue entre les médecins et les prisonniers. Les seules paroles du film sont une voix off qui met en perspective historique les événements, et les commentaires du médecin russe qui a participé au procès de l'Unité 731, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale... La bande-son est aussi très angoissante...

Ci-dessous, une scène où les médecins veulent tester la résistance à la douleur de cette patiente en lui arrachant les dents avec une tenaille. La scène n'est pas reproduite en entier (elle dure encore quelques minutes) mais est susceptible de choquer certaines personnes.



Philosophy Of A Knife est sorti en DVD cet été et a été projeté dans un nombre très restreint de salles (au moins une projection en Espagne, lire ici). Andrey Iskanov sort ces temps-ci un nouveau long-métrage, The Tourist, déjà auréolé d'une réputation morbide. En effet, lors du tournage d'une scène, l'équipe du film ignorait qu'à quelques mètres d'eux se trouvait le cadavre d'une femme assassinée, qui sera trouvé par la police quelques heures plus tard... Glauque...

samedi 13 décembre 2008

Hommage à Pierre Clémenti

Pierre Clementi photo belle de jourUn homme, un flingue... Et la gueule de jeune premier de Clémenti.

Voilà bientôt dix ans que Pierre Clémenti nous a quittés (27 décembre 1999). Ce grand acteur. Avec Alain Delon et Jean-Pierre Léaud, le meilleur acteur français. Mais il ne faut pas occulter les talents de réalisateur de Clémenti. Certes, il a joué sous la direction des plus grands: Visconti, Buñuel, Pasolini, Bertolucci, Garrel et Rivette. Mais il est également le réalisateur de films qu'on serait trop prompts à qualifier d'expérimentaux. Depuis quand le cinéma devrait délivrer des histoires linéaires calquées sur le roman traditionnel ? Clémenti est l'auteur de films personnels qui sont un témoignage indispensable à la période 1960-1970. Investi d'une mission de chroniqueur des années 60-70, à la manière de Saint-Simon 300 ans plus tôt, Clémenti filme sa vie, riche en rencontres et en événements. Il faut dire que Pierre Clémenti a cotoyé ce qui se fait de mieux en matière de cinéma. Ses pellicules convoquent Jean-Pierre Kalfon, Bulle Ogier, Philippe Garrel, Frédéric Pardo, Tina Aumont, Valérie Lagrange, Catherine Deneuve, Michel Piccoli et bien d'autres.

Pierre Clementi bulle ogier photo
Ce qui se dégage de ses films, ce sont les collages et les surimpressions. En effet, Clémenti colle et mixe différentes pellicules à un rythme effréné, quitte à supprimer toute chronologie. On peut parler de cut-up ou de films de famille monté de façon aléatoire. Clémenti a sorti officiellement cinq films: Visa de Censure en 1976, New Old en 1979, Check Point Charlie en 1981, A L'Ombre de la Canaille Bleue en 1981 et Soleil en 1989. Ces films ne sont pourtant qu'une partie de l'iceberg de l'œuvre de cinéaste de Clémenti.

Clémenti n'a cessé de filmer et de monter sa vie. Il a légué ses films au musée de Beaubourg mais le directeur de ce musée n'a pas jugé bon de montrer ses films au public. On peut se poser des questions quant à la santé mentale de cet homme mais on peut imaginer que c'est un ami de Jack Lang ou de Christine Albanel, c'est à dire un homme (ou une femme) présent à chaque vernissage où caméras et petits fours sont de mise.

Pierre Clementi catherine deneuve belle de jourCatherine Deneuve succombe aux charmes du mauvais garçon Pierre Clémenti
dans Belle de Jour de Luis Buñuel.

Pourtant l'œuvre de Clémenti cinéaste est conséquente: 22 bobines inédites ! Le vendredi 12 décembre, la Cinémathèque Française montre en avant-première deux de ces bobines non sonorisées. Le résultat est époustouflant. En présence de Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier, on a pu assister à l'exhumation de deux bobines de Pierre Clémenti. D'après le fils de Clémenti, ces films feront bientôt l'objet d'une édition en DVD. Et cela est salutaire tant Clémenti propose une vision fascinante des années 60-70. Une chose seulement est à regretter, que ces futurs DVD soient payants. En effet, ces pellicules devraient entrer directement dans la domaine public !

Pierre Clementi photo pasolini porcileClémenti sur le tournage de Porcile de Pasolini.

Selon son fils, Pierre Clémenti acceptait ses rôles en partie pour financer ses propres projets, notamment l'achat de pellicules et de caméras pour continuer son oeuvre de cinéaste. On ne peut qu'adhérer.

Ci-dessous, un extrait de La Voie Lactée (1969) de Luis Buñuel où Pierre Clémenti joue le rôle du Diable. Il ne faut pas oublier que Clémenti a aussi joué le rôle de Jésus dans Le Lit de la Vierge de Philippe Garrel la même année. Un film formidable soutenu par la musique lancinante de Nico. L'amante d'Alain Delon. Tout se rejoint.

mercredi 10 décembre 2008

Drugs... & What Your Children Won't Tell You

Un disque éducatif de Dan McCurdy publié en 1971 aux USA.

drugs what your child wont tell you
Dan McCurdy expose ici les dangers de la marijuana, de la morphine et du LSD. Le disque se termine par des témoignages de drogués... Assez fascinant, le tout dramatisé par une musique sortie d'un film à suspens.

Le disque ici !

lundi 8 décembre 2008

Takashi Miike - Deadly Outlaw: Rekka (2002)

miike deadly outlaw rekkaLance-roquette en pleine ville ? Yes, we do like that !

Est-il besoin de présenter Takashi Miike, cinéaste nippon nihiliste, extrémiste, anti-rationaliste, scatologique, sanglant et foutrement poétique, auteur d'une soixantaine de films en moins de vingt ans ? Et quand j'écris une soixantaine de films, je veux dire une soixantaine de bons films ! Dont une dizaine totalement incroyables (c'est le cas de l'écrire !). Célèbre pour ces films gores (Audition, 1999, qui n'est pas vraiment gore d'ailleurs ; Ichi The Killer, 2001, plutôt burlesque ; Imprint, 2006, moyen métrage prévu pour un cycle télévisuel américain sur l'horreur et déprogrammé pour cause... d'horreur - les gens ne savent pas ce qu'ils veulent !), ces films de yakuzas (Fudoh, 1996 ; l'indispensable trilogie Dead Or Alive, 1999-2001 ; Agitator, 2001), ces films barrés (à peu près tous mais citons la série policière MPD Psycho, 2000 ; Visitor Q, 2001 ; Gozu, 2003), Miike est oublié quand on parle de poésie. Voir pour cela The Bird People In China (1998), un des plus grands films de tous les temps qui met les points sur les "i" en ce qui concerne le progrès, la vie moderne, l'économie mondiale et la violence.

miike deadly outlaw rekkSonny Chiba, flic et chanteur engagé contre la peine de mort ? Le nouveau Johnny Cash, je vous dis !

Oh, nous reviendrons sur ce chef-d’œuvre plus tard. Penchons-nous plutôt sur un film de yakuzas (a priori) avec Deadly Outlaw: Rekka (2002), un très grand cru de Miike de 95 minutes.

Ce film raconte l'histoire de Kunisada (Riki Takeuchi, acteur Mikéen), un yakuza, qui veut se venger de la mort de son père. Appartenant à un clan yakuza, Kunisada fera vite cavalier seul en apprenant que son père à été tué sur ordre de yakuzas qu'il connaît. Dans son épopée vengeresse, Kunisada rencontrera un inspecteur de police compatissant (joué par Sonny Chiba, la gloire des arts martiaux des années 70 - Street Fighter, c'est lui !), un oncle ex-yakuza à dread-locks, deux Sud-Coréennes rockeuses bien mignonnes, un grand-père revendeur de voitures et un pied de biche dans un garage qui lui permettra de mettre une raclée très violente à des yakuzas rivaux (Joe Pesci est battu sur le terrain du sadisme).

miike deadly outlaw rekkUne Sud-Coréenne plus que mignonne.

Sans raconter toute l'histoire, il est impossible de passer sous silence une scène où Kunisada se balade en pleine ville avec un lance-roquette et détruit un immeuble entier devant les passants abasourdis.

Fidèle à lui-même, Miike commence son film par une séquence d'anthologie où il montre ses talents de monteur. Comme dans Dead Or Alive 1, la séquence d'ouverture est un monument où plusieurs actions se déroulent en même temps, soutenues par une musique rock particulièrement énergique et énergisante. Moins fort que la séquence de Dead Or Alive 1 mais tout de même excellent. Et en France, qu'est-ce qui se passe ? Mesrine ? Allons bon... des cahiers de vacances, c'est ce qu'ils méritent...

La séquence d'ouverture ci-dessous:

Lien

mardi 2 décembre 2008

Mitsuru Meike - The Glamorous Life of Sachiko Hanai (2003)

Un pinku extraordinaire et atypique de Mitsuru Meike. Le scénario est de Takao Nakano, qui a réalisé en 2004 l'hilarant Sexual Parasite: Killer Pussy qui confronte une bande de cinq étudiants à un parasite monstrueux qui prend possession du corps des jeunes femmes... Une potacherie nippone mineure mais sympathique. The Glamorous Life of Sachiko Hanai est d'une autre trempe. Deux particularités sont notables: le film dure 90 minutes au lieu des 65 minutes habituelles et la toison pubienne de l'actrice principale est visible à plusieurs reprises, ce qui est très étonnant pour une production japonaise.

Emi Kuroda: n'abandonne pas le cinéma, Emi !

L'histoire est déjantée à souhait, le film développant un message politique... anti-Bush ! C'est surtout un fou rire de 90 minutes aussi politique qu'un film de Russ Meyer (pour donner une idée)... L'actrice principale, Emi Kuroda, dont c'est apparemment l'unique rôle au cinéma, présente d'ailleurs une poitrine digne d'une superchick russ-meyeresque.

La première scène du film montre un étudiant suivant un cours particulier d'anglais... La prof, Sachiko Hanai (Emi Kuroda, donc), drague ostensiblement l'étudiant et lui propose un strip-tease en retirant un vêtement par bonne réponse. Question: "Quelle est la capitale des USA ?" Hésitation de l'étudiant, visiblement crispé: "Heu... New York ?" "Correct !" Sachiko enlève sa chemise et l'étudiant, au bord de l'apoplexie, lui saute dessus, ("Sensei ! Sensei !") sans la moindre résistance de la jeune femme, qui correspond bigrement à un fantasme japonais: prof mais plus proche de l'étudiante, en uniforme, l'air innocent et relativement passive. Mais la scène prend fin et le spectateur se rend compte que Sachiko n'est pas prof. Il s'agit en fait d'une prostituée qui travaille dans un Image Club, une sorte de maison de passe où les femmes jouent, selon l'envie du client, le rôle d'une infirmière, d'une hôtesse de l'air, d'une collégienne ou tout ce qui porte un uniforme.

Bullet in the head !

Sachiko se rend ensuite dans un bar où deux clients s'embrouillent. L'un d'eux, un Nord-Coréen pas très clair vient de lui remettre 300.000 dollars en échange d'un "doigt" contenu dans un tube de rouge à lèvres. Le doigt est malheureusement tombé sous une table et le Nord-Coréen n'hésite pas à tuer de sang froid son vis-à-vis. Sachiko prend le tueur en photo et se prend directement une balle en pleine tête ! Mais... elle se relève (un trou dans la tête) et sort du bar, sous le choc... et avec le fameux "doigt" dans son sac.

Monologue de Sachiko: "La sagesse de l'humanité ! Aristote, Dante, Shakespeare, Edison et Stravinski. E=MC2. Tout ceci témoigne de la passion de l'homme pour l'univers !"

La balle a un effet magique sur elle. Sachiko devient un puits de connaissances. Sa blessure au front est comme un troisième oeil. Elle se rend dans une bibliothèque et dévore tout ce qu'elle peut... Intéressée par une étude philosophique du Professeur Saeko, elle lui rend visite d'une façon très provocante, puisque Sachiko se comporte toujours comme une nymphomane en accompagnant ses attitudes physiques de monologues sur la métaphysique kantienne, la pragmatique, le situationnisme, T.S. Eliot, Le Paradis Perdu de Milton ou la pensée de Voltaire ! Le Professeur Saeko n'en croit pas ses oreilles (ni ses yeux !). A la question, "la construction binaire peut-elle expliquer l'univers ?", il saute sur Sachiko et arrive ce qui arrive. Tous les deux assis sur un canapé après une application des théories de Lucrèce, Saeko annonce à Sachiko qu'il a une femme... "mais avec elle, je ne parle pas de Susan Sontag ou de Noam Chomsky".


Les relations prof/élève en 2003 au Japon. L’Éducation Nationale est encore larguée.

Saeko décide de ramener Sachiko chez lui, de la présenter à sa femme et de lui faire donner des cours à son fils. Sachiko enseignera plus que de l'histoire au fils ; elle utilisera sa technique du strip-tease pour le faire progresser. Et il progressera vite ! Comme dans Théorème de Pasolini, la venue de Sachiko transforme la vie des membres de sa famille d'accueil.

Sachiko: "Regarde. C'est la loi fondamentale du monde. Nietzsche et Einstein. Le Comte de Sandwich. Ils viennent tous de là."

Saeko et son discours philosophique avec Sachiko: "Tu veux essayer la dialectique matérialiste ?"

Le film prend une nouvelle dimension quand Sachiko voit et entend George W. Bush en pleine rue ! Le doigt caché dans le tube de rouge à lèvres est en fait le doigt cloné de George W. Bush... Et ce doigt permet d'utiliser l'arme nucléaire ou toute arme de destruction massive ! Dans une scène surréaliste, Sachiko arrive par enchantement sur le toit d'un immeuble où W lui parle par écran de télé et où le "doigt" s'insère par force dans son fondement. Le "doigt" de Bush est un littéral "fuck". Bush prononce d'ailleurs: "C'est la technique Bush... J'ai trouvé le point G !" Voir la vidéo ci-dessous où se mêlent érotisme, détournement d'images, discours politique et allusion au conflit irakien... Ne pas oublier qu'en mars 2003, les USA envahissent l'Irak.


La suite du film dérive en espionnage international et le spectateur voit le malfrat Nord-Coréen faire équipe avec Sachiko. Sont abordés: l'industrie de l'armement, la réunification de la Corée, la destruction du monde, Huntington et le conflit des civilisations, le coup de foudre, Zhuang Zi ou le dieu Chaos de la dynastie Han. Un fourre-tout pas banal pour un pinku !

PS: Tous les dialogues cités sont vraiment dans le film ! Mitsuru Meike ou Takao Nakano ont dû suivre des cours de philosophie dans leur jeunesse.

PS 2: Au générique final, l'hymne national américain est chanté en japonais. C'est verbalement excellent mais je doute de la traduction.

La bande-annonce du film:

samedi 29 novembre 2008

Pete Doherty @ La Maroquinerie (28.11.2008)

(photo Oliver Peel)

Concert événement de l'enfant terrible du rock anglais, Pete Doherty, de passage à Paris pour l'enregistrement de son album solo, véritable arlésienne, puisque cet album est mentionné depuis plusieurs années. Programmé seulement le mercredi 26, les 500 places du concert se sont vendues en quelques heures.

A 20h30, les portes de la Maroquinerie sont toujours fermées et une longue queue de fans attend patiemment dans le froid, filmée par une équipe de télé. Puis, au bout de la rue, arrive Pete, à pied, chapeau sur la tête et étui de guitare à la main. La grande classe. Applaudissements nourris, cris stridents de groupies, évanouissements d'adolescentes, etc...

Pete fumera plusieurs cigarettes sur scène. Un vrai dur, ce Pete ! (photo Oliver Peel)

Les portes de la Maroquinerie s'ouvrent enfin vers 21h et Pete monte sur scène à 21h15 alors que tout le monde n'est pas entré dans la salle. Dommage puisque Pete ouvre le bal avec "Alone Again Or", une reprise de Love, extraite du mythique album Forever Changes. Pete quitte la scène et laisse la place à Miggles, un français, qui joue trois morceaux, puis Pete revient et interprète "Beg Steal or Borrow"... avant de partir et de présenter un autre groupe français, The Nellingtons, copieusement sifflé par la foule qui veut voir Pete jouer. Le calvaire des Nellingtons durera le temps de trois chansons et le concert de l'ex-Libertines commence enfin.

(photo Oliver Peel)

Pete joue deux morceaux qui seront peut-être sur son album: "New Love Grows On Tree" et "Palace Of Bone". Sinon le set mélange des titres anciens (l'excellent "Bucket Shop"), des titres des Libertines ("What A Waster" et "Don't Look Back Into The Sun"), des titres des Babyshambles (l'inévitable "Fuck Forever" ou "La Belle et la Bête"). Pete est en forme et prend visiblement du plaisir à jouer. Un invité de marque le rejoint sur scène: Wolfman, l'auteur de la chanson "For Lovers". Wolfman est complètement défoncé, il peine à ouvrir les yeux et parvient difficilement à marmonner des bribes de mots. Commentaire d'un type dans le public: "J'ai déjà vu des mecs défoncés sur scène mais là, c'est le numéro un". Pas faux. La fin du concert est vraiment excellente, Pete enchaîne les succès des Libertines ("Time For Heroes "et "Can't Stand Me Now", joué à la demande du public) , le blues "Wolfman", très énergique, et termine avec "There She Goes", une reprise des La's. D'après les rumeurs, Lee Mavers, le chanteur des La's, a participé à l'enregistrement de l'album solo de Mister Doherty, brisant ainsi un silence artistique d'une dizaine d'années.

Wolfman sur scène... Pete Doherty prend soin de son compagnon de défonce (photo Oliver Peel)

Setlist:
1) Alone Again Or (Love)
2) Beg Steal Or Borrow
3) New Love Grows On Tree
4) East Of Eden
5) Albion
6) Bucket Shop
7) Palace Of Bone
8) What A Waster
9) My Darling Clementine
10) Dilly Boy
11) The Good Old Days
12) Don't Look Back Into The Sun
13) Fuck Forever
14) Death On The Stairs
15) Last Post On The Bugle
16) Unbilotitled
17) For Lovers (avec Wolfman)
18) La Belle et la Bête
19) Back From The Dead
20) Time For Heroes
21) Can't Stand Me Now
22) Wolfman (avec Wolfman)
23) There She Goes (The La's)

Extraits vidéos du concert:


"Alone Again Or" de Love


"Fuck Forever"


"What A Waster"


"Can't Stand Me Now", "Wolfman", "There She Goes"

samedi 15 novembre 2008

Une introduction à Jess Franco, acte 8

Conclusion de notre étude sur Jess Franco.


L'héritage de Jess Franco

Jess Franco a véritablement créé une oeuvre protéiforme mais très cohérente. Il est quand même étonnant de voir une oeuvre où se mêlent:
Pour les acteurs: Klaus Kinski, Christopher Lee, Jack Taylor, Howard Vernon, Jack Palance, Horst Tappert, Olivier Mathot, Eric Falk et tant d'autres.
Pour les actrices: Soledad Miranda et Lina Romay (les deux muses), Janine Reynaud, Diana Lorys, Alice Arno, Pamela Stanford, Karine Gambier, Monica Swinn, Brigitte Lahaie, Fata Morgana et une kyrielle d'actrices éphémères des années 70-80.
Franco ne fait pas de distinction entre acteurs reconnus et acteurs de second rang, ceci écrit sans mépris. La galaxie Franco repousse les limites du bon goût et du mauvais goût, de l'acceptable et de l'interdit, du sublime et du ridicule.

Ses variations infinies sur le même thème font de lui le John Coltrane du 7è Art.
Ses gros plans sur l'intimité des femmes font de lui le Gustave Courbet du 7è Art.
Son originalité et ses audaces cinématographiques font de lui une référence unique.
Jess Franco n'est pas seulement une figure célébrée du cinéma bis, il est, de fait, respecté par des réalisateurs prestigieux et vénérés: Orson Welles et Fritz Lang naguère, Pedro Almodovar et David Lynch aujourd'hui. Dans le générique de Matador! d'Almodovar, ce dernier montre des extraits de Bloody Moon de Jess Franco, un film sanglant de 1981. Quant à David Lynch, nul doute qu'il est familier avec les variations franciennes et l'onirisme de Venus In Furs et Necronomicon.

Sans parler d'héritier, Jess Franco a imprégné le cinéma, surtout le cinéma de genre. N'oublions pas qu'il a réalisé le premier film d'épouvante espagnol et qu'il est l'inventeur du WIP. Quentin Tarantino ne s'est pas trompé en utilisant la musique de Vampyros Lesbos pour son film Jackie Brown en 1997, en hommage à Jess Franco, l'enfant terrible du cinéma espagnol.


Filmographie sélective et thématique

Films fantastiques
L’Horrible Docteur Orlof (1962)
Dans les Griffes du Maniaque aka Miss Muerte (1965)
The Blood of Fu Manchu aka Fu Manchú y el Beso de la Muette (1968)
Les Nuits de Dracula (1969)
Vampyros Lesbos (1971)
Sie tötete in Ekstase aka She Killed in Ecstasy (1971)
La Comtesse aux Seins Nus aka La Comtesse Noire (1973)
Les Prédateurs de la Nuit aka Faceless (1988)

Films inclassables
Necronomicon (1967)
Venus in Furs (1969)

Polars / Espionnage
Cartes sur Table (1966)
Ca Barde chez les Mignonnes (1967)
Sadisterotica (1967)
Blue Rita aka Le Cabaret des Femmes Perverses (1976)

Adaptations de Sade
Marquis de Sade: Justine aka Les Infortunes de la Vertu (1968)
Eugenie… the Story of her journey into Perversion (1969)
Eugénie de Sade (1970)
Juliette (1975)

W.I.P.
99 Women aka Les Brûlantes (1969)
Frauengefängnis aka Femmes en Cage (1975)
Greta the Butcher aka Le Pénitencier des Femmes Perverses (1977)
Frauen In Liebeslager aka Camp d’Amour pour Mercenaires (1977)
Frauen für Zellenblock 9 aka Esclaves de l’Amour (1977)

Bibliographie
AKNIN Laurent, Cinéma Bis, 50 ans de cinéma de quartier, Nouveau Monde, Paris, 2007.
FRANCO Jess, Memorias Del Tio Jess, Aguilar, Madrid, 2004.
MATHIJS, Ernest et MENDIK, Xavier, Alternative Europe: Eurotrash and Exploitation Cinema since 1945, Wallflower Press, London, 2004.
MESNILDOT Stéphane du, Jess Franco, énergies du fantasme, Rouge Profond, coll. « Raccords », Pertuis, 2004.
RAUGER Jean-François, « Jess Franco: fragments d’une filmographie impossible » in Programme juin- juillet, Cinémathèque Française.
SEGUIN Jean-Claude, Histoire du cinéma espagnol, Nathan, coll. « 128 », Paris, 2005.

Site internet:

vendredi 14 novembre 2008

une introduction à Jess Franco, acte 7

Depuis les années 70: les éternelles variations de Jess Franco (2è partie)

Le WIP: politique et voyeurisme

Franco voue une obsession pour les prisons de femmes. C’est Franco qui a créé le genre en 1969 avec 99 Women, qui connut un grand succès aux États-Unis. Ce genre a connu un grand engouement dans les années 70 aussi bien en Europe, qu’aux USA et au Japon. Pour des raisons politiques, des dissidentes sont enfermées dans des établissements où elles sont torturées. Le spectateur assiste alors à des scènes de lesbianisme, des combats de femmes, des tortures infligées par des geôliers cruels et surtout par la cheftaine sadique adepte du 3è Reich. Franco ridiculise ses amateurs et nostalgiques du Reich et de la dictature en les peignant comme des obsédés sexuels et des débauchés notoires. Ce n’est pas sans rappeler l'univers du Marquis de Sade ou Salo de Pasolini (1975).


La bande-annonce américaine de 99 Women : musique haut de gamme !

D’ailleurs, le WIP a dérivé au milieu des années 70 en un sous-genre: le nazisploitation, un courant très décrié pour des raisons éthiques mais qui a connu un certain succès et qui compte une bonne cinquantaine de films. Comme son nom l’indique, le nazisploitation s’intéresse aux prisonnières des camps de concentration et des camps de travail pendant la Seconde Guerre Mondiale. Entre deux expérimentations médicales particulièrement barbares (comme il en a existé), les prisonnières servent d’objets sexuels aux soldats nazis, qui apparaissent comme des êtres lubriques aux fantaisies sexuelles les plus bizarres. Dans cette lignée, les meilleures réalisations de Jess Franco sont Frauengefängnis (1975), Frauen für Zellenblock 9 (1977) et Greta - Haus ohne Männer (1977). Clin d'oeil à l'histoire, ces trois films sont des productions suisses tournées en allemand.

Cette comédie sentimentale réunit Karine Gambier et Susan Hemingway.

Le WIP connaît d’autres déclinaisons plus marginales, comme le nunsploitation: Franco a ainsi réalisé Lettres d’amour d’une nonne portugaise qui prend comme cadre un couvent du XVIIè siècle, résidence de Satan où règne le stupre. Le Vatican ne s’est jamais exprimé sur ce film mais la censure a quand même retardé sa sortie de plusieurs mois avant de se résigner.

Ironie du sort, son premier film de retour en Espagne, après la mort du Général Franco, est Sadomania (1980), un nouveau WIP contenant des scènes particulièrement violentes. Franco montre ici une dictature qui se permet tous les droits et enferme les femmes arbitrairement. Le pouvoir se retrouve dans les mains de personnages corrompus qui répriment les libertés pour mieux satisfaire les leurs. Le personnage du gouverneur, au look de dictateur militaire, achète des prisonnières pour sa consommation personnelle avant de les revendre à un bordel sordide. Il prend aussi part à des chasses à la femme: chasseur dans l’âme, le gouverneur fait évader des prisonnières pour avoir le plaisir de les abattre ensuite.

Le gardien, la directrice nazie (en mini-short) et les prisonnières: une scène classique du WIP. Ici dans Frauengefängnis aka Femmes en Cage (1975).

A vrai dire, le concept du WIP tient autant de la dénonciation du système carcéral que de la volonté voyeuriste de montrer des femmes nues et humiliées dans des cellules exiguës. Franco s’amuse à peindre un univers dégénéré, grotesque mais souvent pessimiste. Il est rare que les prisonnières réussissent à s’échapper. Ou quand elle s’échappe, c’est pour rencontrer des êtres encore plus abjects. On rejoint ici l‘univers sadien, notamment Les Infortunes de la Vertu où Justine ne rencontre que corruption lors sa Passion picaresque.


Cet extrait de Frauengefängnis fait une référence directe au nazisme et aux camps de travail. Ici, la directrice sadique, qui a troqué son uniforme militaire pour une nuisette un brin légère, lit tranquillement Au Coeur du Troisième Reich d'Albert Speer, ministre des Armements de la production de guerre entre 1942 et 1945. Par souci de pureté, la directrice (Monica Swinn) demande à sa jeune prisonnière (Martine Stedil, trop rare au cinéma) si elle est toujours vierge. C'est effectivement une information importante.

Suite de l'étude sur Jess Franco:
Jess Franco, acte 1: présentation du cinéaste
Jess Franco, acte 2: les premiers films
Jess Franco, acte 3: la collaboration avec Orson Welles
Jess Franco, acte 4: le cinéma espagnol sous le franquisme
Jess Franco, acte 5: le cinéma libre de Jess Franco (1967-1971)
Jess Franco, acte 6: depuis les années 70, érotisme et fantastique
Jess Franco, acte 8: les héritiers de Franco

Une introduction à Jess Franco, acte 6

Depuis les années 70: les éternelles variations de Jess Franco (1è partie)

Après 1971, Jess Franco va se marginaliser mais tourner plus que jamais, parfois jusqu’à dix films par an. C’est à partir de là que sa filmographie devient complexe, Franco signant ses films de plusieurs pseudonymes selon les pays ou les maisons de production. Tournés avec des budgets dérisoires et d’énormes contraintes, beaucoup de ses films manquent de qualité et, surtout, racontent toujours la même histoire, le réalisateur ne prenant parfois pas la peine de changer les acteurs, les noms des personnages, les lieux de tournage et la musique ! A ce titre, Franco est plus jazzman que jamais, travaillant sans cesse le même thème.


Lors de l’ouverture de la rétrospective de Franco à Paris cette année, Jean-François Rauger souligne cet aspect de l’œuvre de l’Espagnol quand il évoque « le sentiment de l’inachèvement [qui] est très proche de l’art moderne, finalement… C’est un cinéma libre, fait dans des contraintes incroyables ; quelle liberté quand on pense aujourd'hui à ce qu'est le cinéma traditionnel… C’est un grand obsessionnel... C’est un jazzman qui va tout le temps jouer le même standard mais de plus en plus librement… Il me fait penser à John Coltrane qui va jouer toute la fin de sa vie « My Favourite Thing ». Le premier enregistrement faisait 18 minutes, un des derniers enregistrements en concert au Japon fait 3 heures... Le long chorus mélodique et lyrique... »

C’est en effet fascinant et c’est au spectateur de faire le tri dans les dizaines de films qui sortent annuellement, prenant une scène par-ci, un cadrage par là, pour trouver au final l’univers de Franco, toujours le même mais en constante expansion. On peut parler de galaxie Franco. Dans cette galaxie, nous allons nous intéresser à deux systèmes solaires, si je puis dire: le fantastique érotique et le WIP (ou Women In Prison).

La poursuite de l'érotisme francien: du fantastique à l'horreur


Lina Romay est la comtesse Irina Karlstein dans la Comtesse Noire (1973), énième variation sur le vampirisme. Ici, la vampire se nourrit de l'énergie sexuelle de ses victimes. Bram Stoker se retourne-t-il dans sa tombe ?

Jess Franco traverse les années 70 et 80 en mettant en scène les mêmes mythes et fantasmes que dans ses films des années 60. Le vampirisme, la sorcellerie, l’horreur et un nouveau thème: l’exotisme. Reprenons dans l’ordre: Pour le vampirisme, Franco continue ses variations sur les vampires lesbiennes avec sa nouvelle muse, Lina Romay, dans le rôle de Dracula. Les scènes érotiques se multiplient tandis que le scénario et l’action sont réduits à peau de chagrin. Nous arrivons là à un problème dans l’œuvre de Franco. Tellement marginalisé dans le cinéma de genre, réalisant ses films à budget ridicule avec des producteurs mythiques mais désireux de faire de l’argent (la société française Eurociné ou le producteur suisse Erwin Dietrich), ces producteurs ne vont pas hésiter à pousser Franco dans l’industrie pornographique. Franco n’est pas un enfant de chœur. Les femmes nues ne manquent pas dans ses films. Mais dans les années 70, les films de Franco sortent dans trois ou quatre versions différentes. Des inserts pornographiques sont ajoutés par les producteurs avec ou sans le consentement de Franco. Depuis la fin des années 90, Jess Franco a tourné toute une série de films de vampires mais rien de transcendant. Les meilleurs films sont La Comtesse Noire (1973), Doriana Grey (1976) et Snakewoman (2005).

Pour les remakes de ses propres films, Franco réalise en 1982 le Sinistre Dr Orlof qui s’attache aux expérimentations du fils d’Orlof qui tente de ramener sa mère à la vie. Un an plus tard, Franco réalise Macumba Sexual, une variation très érotique et africanisante de Vampyros Lesbos. C'est une réussite qui mêle habilement onirisme et érotisme. Dans le rôle de la Princesse Obongo, déesse lubrique, nous trouvons Ajita Wilson qui est... une femme après avoir changé de sexe ! De fait, les gros plans sur le visage d'Ajita Wilson sont vraiment flippants. Ajita fait vraiment peur !

Lina Romay, sans complexe, dans Macumba Sexual.

Ajita Wilson et Lina Romay : deux femmes ? Un homme, une femme ?

Jess Franco réalise aussi des films assez originaux comme Deux Sœurs Vicieuses en 1976, avec la formidable Karine Gambier et Pamela Stanford. Cette dernière tient sa petite sœur (majeure tout de même) enfermée dans la maison familiale et lui fait subir des sévices sexuelles. La sœur martyrisée, Karine Gambier, droguée par un médecin de mèche avec Pamela Stanford, ne fait plus la part des choses entre le rêve et la réalité. Elle ne se rend pas compte qu'elle est enfermée. Le scénario se corse quand on découvre que Karine Gambier est une nymphomane en puissance. Un scénario assez complexe, donc.

Karine Gambier : rien à dire, elle avait plus de classe que Brigitte Lahaie.

Un nouveau genre s’offre à Jess Franco. Les films exotiques dont l’aventure se passe en Afrique ou en Amérique latine dans des sociétés dite primitives. Un peu d’histoire du cinéma: Ces films connaissent un succès grandissant grâce à Delivrance de John Boorman (1972) où quatre amis sont confrontés à la nature hostiles et aux attaques de hillbillies tordus amateurs d'anus et de gros calibres. Cette mouvance exotique tient plus du macabre que de la carte-postale promotionnelle. L’exotisme se développe en même temps que la vague cannibale. En 1980, le monde horrifié découvre Cannibal Holocaust de l’italien Ruggero Deodato. Film le plus censuré de l’histoire du cinéma, Cannibal Holocaust suit les pérégrinations de quatre reporters qui s'enfoncent dans la forêt amazonienne pour réaliser un documentaire sur les tribus indiennes. Le groupe disparait et deux mois plus tard, une expédition de secours part à sa recherche.

Plusieurs films cannibales précédaient pourtant Cannibal Holocaust. En 1977, un expert du genre, Joe d’Amato, également réalisateur de films pornographiques, avait réalisé Emanuelle chez les Cannibales, mêlant érotisme et macabre. Il continue dans ce genre avec des films tels que La Nuit érotique des Morts-vivants, Porno Holocaust ou Anthropophagous qui contient la mythique scène d’un « fou cannibale arrachant le fœtus d’une femme enceinte pour le dévorer » (cité par Laurent Aknin dans son livre Cinéma Bis, 50 ans de cinéma de quartier).

Mondo Cannibale a des vertus ethnologiques: ici, une scène d'apéro traditionnel en forêt amazonienne. Avec supplément sauce rouge !

Franco s’immisce dans le genre avec Mondo Cannibale (1980) : une jeune Européenne blonde (l'Italienne Sabrinia Siani) enlevée à sa famille par des cannibales devient leur déesse. Un beau jour, une expédition scientifique organisée par le père de Sabrina Siani tombe dans les mains des cannibales. Confrontation.


Jess Franco persévère avec L’Abîme des Morts-vivants (1981), qui lorgne plus du côté d’un autre genre: le film de zombies ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, une troupe de soldats allemands censés transporter une cargaison d’or dans le désert africain se fait attaquer par les troupes alliées. Des années plus tard, le fils d’un des soldats allemand se jure de retrouver le butin. Les soldats allemands morts depuis des années sont devenus des zombies sanguinaires décidés à garder le trésor nazi. Tourné sous le pseudonyme d’A.M. Frank avec un budget dérisoire, ce film est plus qu’approximatif et se veut une potacherie de cinéma bis. C’est en même temps jubilatoire et consternant. Du grand Franco.

Suite de l'étude sur Jess Franco:
Jess Franco, acte 1: présentation du cinéaste
Jess Franco, acte 2: les premiers films
Jess Franco, acte 3: la collaboration avec Orson Welles
Jess Franco, acte 4: le cinéma espagnol sous le franquisme
Jess Franco, acte 5: le cinéma libre de Jess Franco (1967-1971)
Jess Franco, acte 7: depuis les années 70, le WIP
Jess Franco, acte 8: les héritiers de Franco