dimanche 25 avril 2010

Takashi Miike - Bodyguard Kiba (1993)

Miike bodyguard kiba
Au début de sa carrière, entre 1991 et 1997, Takashi Miike réalise près de vingt films distribués directement en vidéo. Essentiellement des films de yakuzas, dont la trilogie Bodyguard Kiba, qui met scène le garde du corps expert en arts martiaux Kiba (interprété par le karatéka professionnel Takeshi Yamamoto) en pleine confrontation avec la pègre adepte des armes à feux. Cette trilogie est écrite par Hisao Maki, lui même expert en arts martiaux, et adaptée d'un manga scénarisé par Ikki Kajiwira. Une première adaptation de Bodyguard Kiba est d'ailleurs sortie en 1973, avec le génial Sony Chiba dans le rôle de Kiba. Hisao Maki collaborera à nouveau avec Takashi Miike en 1998 pour Silver, un film démentiel mettant en scène des catcheuses aux mensurations mammaires que n'aurait pas reniées Russ Meyer. Ni le commun des mortels.

Miike bodyguard kiba
Bodyguard Kiba raconte l'histoire de Junpei, un yakuza de bas étage, qui détourne 500 millions de yens. Traqué par les membres de son clan, il fait appel au garde du corps Kiba pour le protéger. S'ensuivent des scènes de combats divers, de courses poursuites, quelques scènes humoristiques et même une scène de sexe à la 50è minute, mettant en valeur la plastique de l'actrice. Une scène purement gratuite comme on en voit régulièrement dans les films destinés au marché de la vidéo.

Miike bodyguard kibaCe yakuza va bientôt se couper l'auriculaire.

Miike bodyguard kibaInterrogatoire façon yakuza : une maïeutique à tout le moins controversée.

Presque rien dans ce film conventionnel ne laisse présager la future carrière de Takashi Miike, si ce n'est une scène dans laquelle une femme subit une séance de torture exacerbée, suivie d'un viol collectif, où le chef yakuza a ses mots: "qu'est-ce qui fait le charme d'une femme ? Le mucus et la sang, les sécrétions et la bile". Une scène sadique et misogyne, comme Miike en tournera régulièrement par la suite.

Miike bodyguard kiba"Pourquoi tant de violence à notre égard ?"

Au final, rien de transcendant dans Bodyguard Kiba, surtout si on le compare aux films à venir de Miike : Shinjuku Triad Society en 1995, Fudoh en 1996 ou Full Metal Yakuza en 1997.


Une des premières scènes de Bodyguard Kiba.

samedi 24 avril 2010

Rachid Nougmanov - L'Aiguille (1988)


A la fin des années 1980, peu avant l'effondrement de l'Union soviétique, le cinéma kazakh connaît un certain renouveau grâce à une poignée de jeunes réalisateurs épris de liberté et influencés par le road movie, la nouvelle vague française et le style Do It Yourself d'un Jim Jarmush. Parmi ses réalisateurs : Serik Aprymov, Abaï Karpykov et Rachid Nougmanov. Ce dernier a débuté en 1986 avec le moyen montage Yahha, un semi-documentaire sur la journée d'un groupe de jeunes à Leningrad, entre musique rock et contre-culture. Parmi les protagonistes, on note la présence de Viktor Tsoï, légende du rock soviétique avec son groupe Kino, et mort dans un accident de voiture à l'âge de 28 ans, en 1990.

Viktor Tsoï à genoux dans la neige.

Marina Smirnova dans le rôle de Dina.

En 1988, Rachid Nougmanov réalise son premier long métrage, Igla (ИГЛА en russe), soit l'Aiguille en français. Viktor Tsoï y tient le rôle principal, celui de Moro, de retour dans sa ville natale d'Alma Ata où il retrouve son ancien amour Dina, devenue accroc à la morphine. Pour la faire décrocher, ils partent tous les deux aux abords de la mer Aral. Un désert de sel et de carcasses de navires. Après une période sevrage, Moro et Dina retournent à Alma Ata. Moro doit alors se faire face à la pègre locale et au mystérieux docteur Ioussoupovitch, trafiquant de morphine. Étrangement, le docteur Ioussoupovitch, interprété par Pyotr Mamonov, est un sosie de William Burroughs, le fameux auteur de Junky et du Festin Nu, lui même accroc à la morphine et à l'héroïne. A noter que Pyotr Mamonov fait également partie de la scène rock russe et qu'un album de son groupe Zvuki Mu a été produit par Brian Eno !


Errance sur la défunte mer Aral.

Pyotr Manonov, sosie de William Burroughs !

Dans l'Aiguille, Rachid Nougmanov alterne différentes ambiances : l'immobilisme et la contemplation dans le désert d'Aral ; l'excitation et l'incongruité dans un bar ; le ridicule et le pastiche de discours politique dans la cour d'une ferme ; le calme et la mort dans une rue enneigée. Un film atypique, à la mise en scène parfois audacieuse, qui vaut le détour. Depuis, Rachid Nougmanov pointe pourtant aux abonnés absents.


Scène de l'Aiguille : désert drogue et intérieur bourgeois.

samedi 10 avril 2010

Maria Beatty - Ecstasy In Berlin 1926 (2004)


Maria Beatty continue son exploration sexuelle dans le tribadisme fantasmé à Berlin de 1926 et fait revivre ce climat décadent fait de morphine et de lesbianisme.


Nous sommes à Berlin, en 1926. La morphine coule de seringue à seringue, de lèvre à lèvre.


On pense à Fassbinder, qui manque tellement au cinéma, et à Klaus Mann, qui manque tellement à la littérature. On pense également à David Bowie, Lou Reed et Iggy Pop dans les années 1977-1978. Maria Beatty nous ramène à des principes simples: se droguer, rêver, lécher, sucer, se faire fouetter, être une femme. Le tout dans une esthétique qu'il n'est pas nécessaire de décrire. Juste ce qu'il faut.

Un extrait d'Ecstasy In Berlin 1926 :

mardi 6 avril 2010

Maria Beatty - The Black Glove (1997)

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Maria Beatty est souvent estampillée, y compris par elle-même, comme une réalisatrice de films érotiques lesbiens féministes. C'est en partie vrai, surtout pour ses dernières œuvres comme Post-Apocalyptic Cowgirls (2008). Dès ses premiers opus comme The Elegant Spanking (1995) et The Black Glove (1997), Maria Beatty développe ses fantasmes sadomasochistes dans une ambiance cinématographique héritée de l'expressionnisme allemand. Les deux films mentionnés, très réussis, sont muets et tournés dans un noir et blanc impeccable que ne renieraient ni Robert Wiene ni Friedrich Murnau.

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Maria-Beatty-Black-Glove-NudeMaria Beatty dans The Elegant Spanking (1995).

Maria Beatty développe tout l'attirail référentiel : Sade (un peu), Sacher-Masoch (surtout), la décadence berlinoise des années 1920, le fétichisme des escarpins et le bondage en vogue des années 1980-1990. Dans cet univers décadent, les étoffes de l'époque du Directoire laissent place au cuir et au latex mi-punk mi gothique.

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Maria-Beatty-Black-Glove-NudeMaria Beatty dans The Black Glove (1997).

Dans The Black Glove, on pense un peu aux furtives scènes érotiques tournées en 8 mm noir et blanc avec Patricia Arquette et Twiggy Ramirez dans Lost Highway de David Lynch. Mais en plus abouti.


Extrait de The Balck Glove.

lundi 5 avril 2010

Jean de Boschère - Satan l'Obscur (1933)

boschere satan obscur
En 1933, Jean de Boschère (1978-1953), peintre, dessinateur, poète et romancier publie Satan l'Obscur, récit autobiographique grave mêlant érotisme, mystique et décadence. L'écriture de Boschère, fin esthète de l'esprit perdu et fantasmé de 1900, a le luxe et la préciosité des palais florentins et des ouvrages illustrés par Aubrey Beardsley. Échappant à la grossièreté, aux mensonges et à la vie socialisée de son époque, il grave ses fièvres et ses folies dans le corps déchu de la poésie.

Jean de Boschère fréquenta les personnes les plus importantes de la première moitié du 20è siècle : André Suarès, Antonin Artaud, Ezra Pound, T.S. Eliot, Aldous Huxley, James Joyce, Milosz, René Daumal, Balthus, Jacques Audiberti ou Joë Bousquet.



Dans Satan l'Obscur, Jean de Boschère se remémore sa vie entre 1916 et 1922, lorsqu'il vivait une double liaison amoureuse avec Anne Vera Hamilton et sa fille Selina. Dans le récit, Anne Vera Hamilton est Douce ; Selina, Fryne ; Jean de Boschère, Pierre. Souffrant de la froideur de sa fille, Douce demande à Pierre de faire de Fryne une femme. Alors que Fryne tombe amoureuse de Pierre, Douce succombe peu à peu d'épilepsie. Dans l'extrait suivant, Pierre assiste pour la première fois à une attaque épileptique de Douce.

Sous les rayons d'une ampoule électrique habillée de jaune, Douce étendue semblait plus mauve encore que pendant ces derniers jours. Sa respiration lassée l'obligeait à tenir ses lèvres écartées. Malgré sa beauté intacte, ses traits, les lignes de son corps, la couleur de son teint portaient une marque incompréhensible, comme un duvet durci, venu d'un autre monde, un voile de terrifiant mystère, un sceau ténébreux que Pierre ne savait si lui seul l'y avait imprimé, ou s'il s'y était dessiné par la "fatalité" de sa vie exaltée, ou par les souffrances que lui imposait l'indifférence de sa fille. Ce sceau dont il était impossible de nier l'existence, renforça la colère toujours présente de Pierre, comme les preuves de son crime que l'on étale devant le coupable l'excitent aux blasphèmes.

Alors succédèrent à de folles vibrations de volupté dans les larmes, des féroces attaques verbales chaque fois résolues en coït, en nouvelles caresses de Douce sur son propre corps. Elle semblait chercher dans celles-ci, sinon la mort, la lassitude céleste qui l'étourdirait. Jusqu'à cet instant, Pierre n'avait pas soupçonné qu'elle pût brûler d'une telle fièvre. Pendant ses spasmes, elle gémissait d'une gorge creuse, rendant des sons exotiques, sortant d'un enfer inconcevable.

Sans doute, leurs nerfs tordus avaient cédé dans cette folie. Pourtant, entre une caresse et une fusée de reproches infernaux, Pierre s'apercevait encore de sa férocité, mais il ne pouvait vaincre ses rebondissements atroces, elle l'habitait comme une pensée de délire nocturne. Douce avait aussi abandonné le monde réel, elle semblait attendre un événement, comme elle le disait souvent après ses nuits de cauchemars.

- There is something waiting for us, round the corner.

Cet événement auquel j'ai plusieurs fois fait allusion dans ce récit, arriva quand ils furent tous deux réduits à l'état de loques délirantes, gémissantes, vociférantes.

L'immobilité qui l'avait brusquement saisie, fait croire à Pierre qu'elle venait de mourir. Son masque était du violet affreux, irrégulier qui teinte les ecchymoses ; dans sa bouche demeurée ouverte une écume sombre ne cessait de bouillir, seul mouvement sauf un curieux redressement saccadé des cheveux courts. Ses yeux, ses beaux yeux bleus !... ouverts, étaient absolument vides de regards, des trous percés dans une cloison opposée à la nuit fermée ; les paupières distendues comme les lèvres, semblaient dessiner le même rictus démoniaque qu'elles.

Puis le fantôme se dressa, que je n'avais encore qu'entrevu avec terreur, et exhala le cri de l'épileptique que l'on ne peut oublier jamais après l'avoir une seule fois entendu.