dimanche 20 janvier 2013

Takashi Miike - For Love's Sake (2012)

Avec For Love's Sake, Takashi Miike adapte une nouvelle fois un manga : Ai to Makoto. Très populaire dans les années 70, ce manga a déjà été adapté à l'écran à plusieurs reprises : une série TV en 74-75 et trois films entre 1974 et 1976. Trente-six ans plus tard, le stakhanoviste de la pellicule Takashi Miike décide de s'y mettre. Depuis quelques années, Takashi Miike adapte beaucoup de mangas et de dessins animés : Crows Zero, Crows Zero 2, Yatterman, Ninja Kids! et donc Ai to Makoto. A ce rythme-là, Takashi Miike sera plus connu pour ses adaptations de manga que ses films de yakuzas.

Une des meilleures scènes du film : danse dans un bar à hôtesses.

Ai to Makoto raconte l'histoire d'amour entre Ai Saotome, une fille d'une famille riche, et de Makoto Taiga, un jeune bagarreur d'une famille pauvre. L'amour d'Ai (qui signifie justement "amour") pour Makoto (qui signifie "fidélité") remonte à l'enfance, le jour où le jeune garçon a porté secours à Ai, qui skiait tout schuss sur une piste noire sans pouvoir s'arrêter. Ce geste héroïque n'est pas sans conséquence pour Makoto : celui-ci se blesse au front, lui laissant une large cicatrice pour le reste de sa vie. Ai tombe immédiatement amoureuse de son nouveau "chevalier" mais celui-ci lui témoigne son hostilité : il lui explique que s'il avait su qu'elle était la fille d'une famille riche, il ne l'aurait pas secourue. Dix ans plus tard, Ai et Makoto se retrouvent à Tokyo. Si la jeune fille est une lycéenne modèle, Makoto passe son temps à cogner tout ce qui bouge (y compris des yakuzas) et se retrouve dans un lycée de cas sociaux.

Emi Takei dans le rôle de la samaritaine Ai Saotome.
Satoshi Tsumabuki dans le rôle du mauvais garçon torturé Makoto.

Toujours éperdument éprise de Makoto, Ai demande à son père (homme riche et respecté) de faire intégrer le jeune délinquant dans un lycée prestigieux (genre Janson de Sailly). Ai espère ainsi éloigner de la violence (douce vision rousseauiste) et gagner enfin son amour. Peine perdue : le rebelle sans cause frappe un professeur dès le premier jour. Il est donc expédié au lycée Hanazono : le lycée de cas sociaux où ne règne que la violence. Makoto va vite marquer son territoire en s'attaquant à un puissant gang de filles, dirigée par la teigne Gumko (interprétée par Sakura Ando, cheftaine de la secte Zéro dans Love Exposure de Sono Sion). Makoto va ensuite fréquenter Yuki, une lycéenne mystérieuse au visage d'ange triste... De son côté, Ai ne désespère toujours pas de conquérir le cœur de Makoto.

Sakura Ando à la tête d'un gang de jeunes filles.
Ito Ono, 17 ans, dans le rôle de la mystérieuse Yuki.

Avec For Love's Sake, Takashi Miike renoue avec un genre qu'il avait déjà abordé en 2001 avec La Mélodie du malheur : la comédie musicale. For Love's Sake contient six ou sept chansons kitschissimes qui s'intègrent plutôt bien au film. Comme dans le récent Ace Attorney, les décors du films sont un des points forts du film, surtout le lycée Hanazono et le bar à hôtesses dans lequel travaille brièvement Ai. Miike a toujours quelques éclairs de génie dans la mise en scène. C'est le cas dans la scène littéralement théâtrale dans laquelle Yuki raconte son enfance. Simple et efficace. En son temps, Seijun Suzuki aurait pu imaginer une telle mise en scène.

Joli décor de studio.

Malgré ces bons points, For Love's Sake est loin d'être une grande réussite. Le film est trop long (2h13) et souffre de plusieurs baisses de régime. Surtout, c'est le scénario qui n'est pas très stimulant. Miike s'attache surtout à raconter la bluette entre Ai et Makoto et à filmer des bagarres ennuyeuses (heureusement moins longues que Crows Zero). Miike fait l'impasse sur l'élément fondamental de l'incompréhension entre Ai et Makoto : les différences sociales. Dommage. For Love's Sake est donc un film moyen, ce qui est devenu la norme pour Takashi Miike depuis de longues années.

dimanche 6 janvier 2013

Zhao Liang - Paper Airplane (2001)

Zhao Liang est un documentariste chinois qui s'intéresse aux laissés pour compte de la société. Dans son premier film, Farewell Yuanmingyuan (1995), Zhao Liang montre l'affrontement entre la police et un groupe d'artistes installé dans un district rural près des ruines de l’ancien Palais d’été. Ce village d'artiste a finalement été fermé en 1995, les autorités craignant la propagation d'idées subversives. Dans son deuxième film, Zhao Liang suit le "parcours" d’héroïnomanes à Pékin. Les scènes ont été tournées entre 1997 et 2001.

Certaines scènes peuvent choquer les personnes sensibles aux aiguilles.

Dans cette période de quatre ans, Zhao Liang filme une dizaine de jeunes Chinois vivant d'abord en communauté dans des squats, se droguant et en jouant vaguement dans un groupe de rock. Au fil des années, presque tous les drogués sont arrêtés par la police, envoyés en cure de désintoxication ou des camps de travail. Quelques uns ont réussis à décrocher. On apprend dans ce film que la police préfère arrêter les consommateurs plutôt que les vendeurs. Les policiers gagneraient ainsi 10.000 yuans pour chaque drogué arrêté. Vérité ou mensonge de junkies ? On ne le saura pas vraiment. On apprend aussi qu'au début des années 2000, le gramme d'héroïne coûtait 350 yuans, ce qui est très cher par rapport au niveau de vie du Chinois moyen. Les drogués passent donc leur temps à trouver de l'argent pour acheter leurs doses à des dealers, souvent des Ouïghours. Un de ces dealers ressemblerait même à Paul McCartney !

Cela s'appelle "chasser le dragon".

Le groupe de drogués vit constamment sous la peur d'une descente de police. Un des drogués doit déménager deux fois par an pour éviter de se faire prendre. Le système judiciaire pour les drogués est particulier. A la première arrestation, le drogué est mis en cure de désintoxication pendant trois mois... aux frais du drogué, ce qui pose problème car leur famille est souvent pauvre. A la deuxième arrestation, la peine de prison passe à 18 mois. A la troisième arrestation, c'est trois ans dans un camp de travail.


Zhao Liang filme sans concession. On y voit donc de nombreuses scènes de prise de drogue. L'héroïne se pique ou se fume. Les promesses de décrocher ne tiennent pas plus de trois jours. L'addiction est trop forte. Zhao Liang a la pudeur de s'effacer et de ne pas juger. Sa proximité avec les drogués (dont l'un est son cousin) fait que ceux-ci semblent oublier la caméra. On est dans le cinéma-vérité. Une vérité que les autorités chinoises n'aiment pas divulguer. Mais quel gouvernement met en avant ses jeunes drogués ?