La première époque de Jess Franco: du fantastique au film d'aventure (1ère partie)
Franco a réalisé de nombreuses adaptations de classiques de la littérature: On peut citer Bram Stoker (Dracula), Sacher-Masoch (qui popularisa la fétichisme), Sax Rohmer (l’auteur de Fu-Manchu), Mary Shelley (Frankenstein), Sade (Justine et Juliette), Poe (La Chute de la Maison Usher), Lovecraft (l’inventeur du Necronomicon, le livre maléfique qui inspira le film du même nom).
Franco connaît le cinéma, c’est un fait. Son premier film reconnu, L’Horrible Docteur Orlof, s’inspire d’un classique du cinéma: Les Yeux sans visage de Georges Franju sorti en 1959, film lui-même adapté d’un roman de Jean Redon. L’histoire est celle du Docteur Orlof, un ancien médecin de prison, qui, aidé par son assistant aveugle Morpho, kidnappe des femmes afin d’utiliser leur peau pour la greffer sur le visage de sa fille, défigurée. S’ensuit une enquête policière pour découvrir la cause des disparitions inexpliquées des femmes. L'inspecteur Tanner est chargé de l'enquête. Pour ce film, Jess Franco est considéré comme le père du cinéma d’horreur espagnol.
Diana Lorys dans le rôle de Wanda Bronsky, fiancée de l'inspecteur Tanner. Tombera-t-elle dans les mains du Dr Orlof ?
Cette matrice de l’épouvante espagnole, aura plusieurs suites dont Les Maîtresses du Docteur Orlof en 1964, qui s’inspire plutôt du mythe de Frankenstein. Dans ce film, le Docteur Jekyll (encore un clin d’œil aux classiques de la littérature) se rend au chevet du Docteur Orloff afin d' obtenir des informations pour redonner la vie à un mort. Le Docteur Jekyll va se servir de sa créature ressuscitée pour tuer des danseuses de cabaret avec lesquelles il a eu des relations sexuelles. Cette partie du scénario n’est pas sans rappeler l’histoire de Jack l’Eventreur qui tua à Londres 5 prostituées en 1888. Il faut d’ailleurs noter que Franco réalisera en 1976 un film sur le tueur en série anglais, joué par Klaus Kinski ! Sans vouloir vous égarer par tant de références, vous apercevez l’entremêlement des fils de Franco, qui tissent un monde propre et cohérent, fait de redites et de variations. Franco n’hésitant pas d’un film à l’autre à se citer lui-même, que ce soit pas le nom des personnages, les acteurs qui les incarnent et les lieux de tournages utilisés.
Pour terminer sur les variations du Docteur Orlof, notons en 1988, Faceless/Les Prédateurs de la Nuit qui utilise le même scénario que l’horrible Docteur Orlof, film avec Helmut Berger, acteur viscontien, et Brigitte Lahaie, actrice... française.
Si Franco est bien le père de l’épouvante espagnole, il se tient dans la lignée des films produits par la Hammer. La Hammer est une maison de production britannique fondée en 1935 qui connaît un franc succès du milieu des années 50 à la fin des années 60 grâce à des films d’horreur et fantastiques. Son réalisateur phare est Terence Fisher qui a réalisé des adaptations de Dracula, de Frankenstein ou du mythe du loup-garou. Pour ce qui est du mythe du vampire de Transylvanie, c’est lui qui a pour la première fois montré les canines proéminentes de Dracula en gros plan sur le cou des victimes, instaurant une nouvelle dimension érotique au personnage. Fischer a également révélé un acteur, Christopher Lee, qui joue dans pas moins de six films de Franco. Dans le rôle de Dracula évidemment mais aussi dans celui de Fu-Manchu, le génie du mal asiatique créé par l’écrivain Sax Rohmer.
Alors, parlons de Dracula, parlons des vampires, qui est un des thèmes primordiaux de Jess Franco. Franco a une bonne trentaine de films de vampires à son actif (qui a vraiment compté ?). Il voue une réelle obsession à ce thème et il passera très vite du vampire masculin au vampire féminin. En cela, il continue les travaux de Terence Fisher. Il érotise de film en film le personnage du vampire. Avant cela, bien sûr, il a voulu donner une version fidèle au Dracula de Bram Stoker. Cette fidélité est le film Les Nuits de Dracula en 1969. Evidemment c’est un tâche impossible et Franco a dû faire certaines concessions. Il a dû réduire le nombre de personnages mais l’histoire reste fidèle à celle de Stoker. Plus fidèle que celle Coppola en tous cas, notamment en ce qui concerne la mort de Dracula. Franco n’a pas voulu de faire de sensationnalisme. Il reprend même l’esthétique gothique des films de la Hammer. En cela, Franco est classique. Son film n’en est pas moins original, ne serait-ce que par la présence toujours surprenante de Klaus Kinski dans le rôle du fou Reinfield et surtout par la manière de filmer. On voit ici les gros plans et les flous qui feront la renommée de Franco.
Le film de genre ne se limite pas à l’horreur et au fantastique. Franco a également réalisé des films d’espionnage. A la différence près que Franco traite le film d’espionnage sur le ton de la plaisanterie. C’est le cas dans les deux films réalisés en 1966 et dans lesquels joue Eddie Constantine. Eddie Constantine est un américain qui a connu un grand succès en Europe dans la chanson et dans le cinéma. Il joue notamment dans Alphaville de Jean-Luc Godard, film qui est lui même une parodie de film d’espionnage. Un an après Alphaville, film d’auteur selon les critères établis par une certaine critique française, Eddie Constantine joue dans deux films de Franco. Cartes sur Table et Ca Barde chez les Mignonnes. Ceux-ci ont tout des films d’espionnage de série B: un agent secret qui boit du whisky, tombeur de femmes, pris dans une spirale conspirasionniste à laquelle il échappe après des dizaines de péripéties. Ces films sont des sortes de parodies de James Bond. Franco ne s’y trompe pas quand, dix ans plus tard, dans le polar "pop" érotico-mystique Blue Rita ou le Cabaret des Filles Perverses, il fait un clin d’œil explicite à un certain « Bond James », agent secret à la Jamaïque.
1965: Eddie Constantine dans Alphaville. Un an plus tard, il est agent secret pour Jess Franco. Il n'a pas perdu au change.
Autre époque, autres moeurs. En 1976, dans Blue Rita (un chef d'oeuvre), la mignonne Martine Fléty joue les terroristes dans le plus simple appareil.
Cet espionnage de genre poursuit son cours avec une actualisation « pop » dans la série des Lèvres Rouges qui comptent deux épisodes dont le superbe Sadisterotica en 1967. Ce film a un côté pop-art, bande-dessinée et érotique dans le genre de Barbarella. En effet, Sadisterotica dégage un parfum érotique assez explicite et Franco glisse ici vers des territoires qui sont interdits dans l’Espagne franquiste. La sensuelle Janine Reynaud, actrice française, n’est pas étrangère à cet érotisme transgressif.
Les premières minutes de L'Horrible Docteur Orlof (1962). Ambiance "expressionniste allemand" et clin d'oeil au M Le Maudit de Fritz Lang. Un classique du cinéma.
Suite de l'étude Sur Jess Franco:
Jess Franco, acte 1: présentation du cinéaste
Jess Franco, acte 3: la collaboration avec Orson Welles
Jess Franco, acte 4: le cinéma espagnol sous le franquisme
Jess Franco, acte 5: le cinéma libre de Jess Franco (1967-1971)
Jess Franco, acte 6: depuis les années 70, érotisme et fantastique
Jess Franco, acte 7: depuis les années 70, le WIP
Jess Franco, acte 8: les héritiers de Franco
Jess Franco, acte 1: présentation du cinéaste
Jess Franco, acte 3: la collaboration avec Orson Welles
Jess Franco, acte 4: le cinéma espagnol sous le franquisme
Jess Franco, acte 5: le cinéma libre de Jess Franco (1967-1971)
Jess Franco, acte 6: depuis les années 70, érotisme et fantastique
Jess Franco, acte 7: depuis les années 70, le WIP
Jess Franco, acte 8: les héritiers de Franco
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