Depuis les années 70: les éternelles variations de Jess Franco (1è partie)
Après 1971, Jess Franco va se marginaliser mais tourner plus que jamais, parfois jusqu’à dix films par an. C’est à partir de là que sa filmographie devient complexe, Franco signant ses films de plusieurs pseudonymes selon les pays ou les maisons de production. Tournés avec des budgets dérisoires et d’énormes contraintes, beaucoup de ses films manquent de qualité et, surtout, racontent toujours la même histoire, le réalisateur ne prenant parfois pas la peine de changer les acteurs, les noms des personnages, les lieux de tournage et la musique ! A ce titre, Franco est plus jazzman que jamais, travaillant sans cesse le même thème.
Lors de l’ouverture de la rétrospective de Franco à Paris cette année, Jean-François Rauger souligne cet aspect de l’œuvre de l’Espagnol quand il évoque « le sentiment de l’inachèvement [qui] est très proche de l’art moderne, finalement… C’est un cinéma libre, fait dans des contraintes incroyables ; quelle liberté quand on pense aujourd'hui à ce qu'est le cinéma traditionnel… C’est un grand obsessionnel... C’est un jazzman qui va tout le temps jouer le même standard mais de plus en plus librement… Il me fait penser à John Coltrane qui va jouer toute la fin de sa vie « My Favourite Thing ». Le premier enregistrement faisait 18 minutes, un des derniers enregistrements en concert au Japon fait 3 heures... Le long chorus mélodique et lyrique... »
C’est en effet fascinant et c’est au spectateur de faire le tri dans les dizaines de films qui sortent annuellement, prenant une scène par-ci, un cadrage par là, pour trouver au final l’univers de Franco, toujours le même mais en constante expansion. On peut parler de galaxie Franco. Dans cette galaxie, nous allons nous intéresser à deux systèmes solaires, si je puis dire: le fantastique érotique et le WIP (ou Women In Prison).
La poursuite de l'érotisme francien: du fantastique à l'horreurLina Romay est la comtesse Irina Karlstein dans la Comtesse Noire (1973), énième variation sur le vampirisme. Ici, la vampire se nourrit de l'énergie sexuelle de ses victimes. Bram Stoker se retourne-t-il dans sa tombe ?
Jess Franco traverse les années 70 et 80 en mettant en scène les mêmes mythes et fantasmes que dans ses films des années 60. Le vampirisme, la sorcellerie, l’horreur et un nouveau thème: l’exotisme. Reprenons dans l’ordre: Pour le vampirisme, Franco continue ses variations sur les vampires lesbiennes avec sa nouvelle muse, Lina Romay, dans le rôle de Dracula. Les scènes érotiques se multiplient tandis que le scénario et l’action sont réduits à peau de chagrin. Nous arrivons là à un problème dans l’œuvre de Franco. Tellement marginalisé dans le cinéma de genre, réalisant ses films à budget ridicule avec des producteurs mythiques mais désireux de faire de l’argent (la société française Eurociné ou le producteur suisse Erwin Dietrich), ces producteurs ne vont pas hésiter à pousser Franco dans l’industrie pornographique. Franco n’est pas un enfant de chœur. Les femmes nues ne manquent pas dans ses films. Mais dans les années 70, les films de Franco sortent dans trois ou quatre versions différentes. Des inserts pornographiques sont ajoutés par les producteurs avec ou sans le consentement de Franco. Depuis la fin des années 90, Jess Franco a tourné toute une série de films de vampires mais rien de transcendant. Les meilleurs films sont La Comtesse Noire (1973), Doriana Grey (1976) et Snakewoman (2005).
Pour les remakes de ses propres films, Franco réalise en 1982 le Sinistre Dr Orlof qui s’attache aux expérimentations du fils d’Orlof qui tente de ramener sa mère à la vie. Un an plus tard, Franco réalise Macumba Sexual, une variation très érotique et africanisante de Vampyros Lesbos. C'est une réussite qui mêle habilement onirisme et érotisme. Dans le rôle de la Princesse Obongo, déesse lubrique, nous trouvons Ajita Wilson qui est... une femme après avoir changé de sexe ! De fait, les gros plans sur le visage d'Ajita Wilson sont vraiment flippants. Ajita fait vraiment peur !
Lina Romay, sans complexe, dans Macumba Sexual. Ajita Wilson et Lina Romay : deux femmes ? Un homme, une femme ?
Jess Franco réalise aussi des films assez originaux comme
Deux Sœurs Vicieuses en 1976, avec la formidable
Karine Gambier et Pamela Stanford. Cette dernière tient sa petite sœur (majeure tout de même) enfermée dans la maison familiale et lui fait subir des sévices sexuelles. La sœur martyrisée,
Karine Gambier, droguée par un médecin de mèche avec Pamela Stanford, ne fait plus la part des choses entre le rêve et la réalité. Elle ne se rend pas compte qu'elle est enfermée. Le scénario se corse quand on découvre que
Karine Gambier est une nymphomane en puissance. Un scénario assez complexe, donc.
Karine Gambier : rien à dire, elle avait plus de classe que Brigitte Lahaie.
Un nouveau genre s’offre à Jess Franco. Les films exotiques dont l’aventure se passe en Afrique ou en Amérique latine dans des sociétés dite primitives. Un peu d’histoire du cinéma: Ces films connaissent un succès grandissant grâce à
Delivrance de John Boorman (1972) où quatre amis sont confrontés à la nature hostiles et aux attaques de
hillbillies tordus amateurs d'anus et de gros calibres. Cette mouvance exotique tient plus du macabre que de la carte-postale promotionnelle. L’exotisme se développe en même temps que la vague cannibale. En 1980, le monde horrifié découvre
Cannibal Holocaust de l’italien Ruggero Deodato. Film le plus censuré de l’histoire du cinéma,
Cannibal Holocaust suit les pérégrinations de quatre reporters qui s'enfoncent dans la forêt amazonienne pour réaliser un documentaire sur les tribus indiennes. Le groupe disparait et deux mois plus tard, une expédition de secours part à sa recherche.
Plusieurs films cannibales précédaient pourtant
Cannibal Holocaust. En 1977, un expert du genre, Joe d’Amato, également réalisateur de films pornographiques, avait réalisé
Emanuelle chez les Cannibales, mêlant érotisme et macabre. Il continue dans ce genre avec des films tels que
La Nuit érotique des Morts-vivants,
Porno Holocaust ou
Anthropophagous qui contient la mythique scène d’un « fou cannibale arrachant le fœtus d’une femme enceinte pour le dévorer » (cité par Laurent Aknin dans son livre
Cinéma Bis, 50 ans de cinéma de quartier).
Mondo Cannibale a des vertus ethnologiques: ici, une scène d'apéro traditionnel en forêt amazonienne. Avec supplément sauce rouge !
Franco s’immisce dans le genre avec
Mondo Cannibale (1980) : une jeune Européenne blonde (l'Italienne Sabrinia Siani) enlevée à sa famille par des cannibales devient leur déesse. Un beau jour, une expédition scientifique organisée par le père de Sabrina Siani tombe dans les mains des cannibales. Confrontation.
Jess Franco persévère avec
L’Abîme des Morts-vivants (1981), qui lorgne plus du côté d’un autre genre: le film de zombies ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, une troupe de soldats allemands censés transporter une cargaison d’or dans le désert africain se fait attaquer par les troupes alliées. Des années plus tard, le fils d’un des soldats allemand se jure de retrouver le butin. Les soldats allemands morts depuis des années sont devenus des zombies sanguinaires décidés à garder le trésor nazi. Tourné sous le pseudonyme d’A.M. Frank avec un budget dérisoire, ce film est plus qu’approximatif et se veut une potacherie de cinéma bis. C’est en même temps jubilatoire et consternant. Du grand Franco.
Suite de l'étude sur Jess Franco:
Jess Franco, acte 1: présentation du cinéasteJess Franco, acte 2: les premiers filmsJess Franco, acte 3: la collaboration avec Orson WellesJess Franco, acte 4: le cinéma espagnol sous le franquismeJess Franco, acte 5: le cinéma libre de Jess Franco (1967-1971)Jess Franco, acte 7: depuis les années 70, le WIPJess Franco, acte 8: les héritiers de Franco