On connaît bien les liens qui ont uni l'écrivain Jean Parvulesco au cinéaste Éric Rohmer. Une amitié qui a débuté le 15 janvier 1950, comme l'affirmait Parvulesco dans un entretien donné quelques jours après la mort du réalisateur du Genou de Claire. Dans son roman Bal Masqué à Genève (1999), Jean Parvulesco évoque dès l'incipit une scène de ce film - qui met en scène la jeune Aurora Cornu (présente dans le roman Un retour en Colchide). Un incipit mystique qui n'étonnera guère l'habitué de Jean Parvulesco.
Jean-Claude Brialy dans Le Genou de Claire.
Maintenant je peux le dire, je n'avais pas mis longtemps à l'apprendre, ou en tout cas pas trop longtemps : il n'y avait rien de plus menteur que le temps sur le lac Léman, et cela à Genève surtout et dans les alentours immédiats de Genève.
Or quel est donc, à Genève, le mystère de cette angoissante, de cette dangereuse incertitude du temps qu'il fait, du temps qu'il fera ? Ces considérations ne sont guère oiseuses, ni parasitaires, et encore moins niaises. Car là, toute clarté peut être tenue d'avance pour meurtrière, et jamais la radieuse limpidité d'un jour d'été se levant comme un premier commencement du monde sur les Roseraies de la Grange ne finira autrement que dans les ténèbres enflammées de l'orage, qui rompent le jour et l'obscurcissent jusqu'au noir sans retour, alors que, d'autre part, l'aube, les matinées remplies de brumes équivoques et persistantes, d'un jaune noirâtre et sale, prenant, parfois, les allures sulfureuses de je ne sais quelle vision empruntée aux cauchemars des somnolences à demi éveillées, où des glissades au ralenti nous portent le long de troubles chenals aventureux à Bornéo, ou dans les îles de la Sonde, cessent le plus souvent de continuer sur la lancée de leur prédestination d'obscurité et d'orage pourpre et noir pour se transformer, comme par enchantement, vers le milieu de la journée, en de paisibles et lumineuses stations sur le lac d'un vert profond, tailladé au loin par de longues barres scintillantes.
Laurence de Monaghan dans le rôle de Claire.
On se souvient peut-être encore d'une brève séquence du Genou de Claire d’Éric Rohmer, brève, trop brève dirais-je, mais de quelle insoutenable beauté tragique, donnant à voir la naissance d'une tempête d'été sur le lac Léman, mais à Annemasse. Si le déchaînement des éléments y devient vite extrême, et la menace fondamentale qui s'en dégage est celle du vertige même de la ruée formidable, ensauvagée, vers l'indifférencié, vers l'obscurcissement et l'oubli le plus vide et le plus noir, une certitude subsiste néanmoins quant au retour proche ou lointain du jour, et dans l’œuvre d'Éric Rohmer c'est bien de cette certitude du retour du jour, essentiellement mystique et spirituelle, que résulte le brusque avènement du chant. Car il y a chant, il y a toujours chant chez Éric Rohmer, chant qui embrase tout et qui sauve tout, qui établit le mouvement salvateur, le passage dramatique du jour vers la nuit mais aussi et peut-être bien plus encore vers le jour du plus profond de la nuit.
Par contre, la leçon des ténèbres qui se dégage de la montée de l'orage sur le lac de Genève même est celle d'un enseignement sans merci ; le clair milieu du jour une fois atteint, la nuit de tardera plus à revenir, la plus grande nuit, et gare à celui qui s'éloignera du jour avant que l'heure n'en soit venue, car cet éloignement, alors, ne saurait être que porteur des fruits les plus détestables de l'impuissance et de l'oubli, d'une irréparable diminution ontologique appelée - toujours - à finir dans les petites cendres du non être.
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