dimanche 25 janvier 2009

Un poème du grand Pierre de Régnier

Pierre-de-Regnier-Femme
Pierre de Régnier, ce grand écrivain, n'est plus à présenter ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, voir ici, puisque j'ai déjà écrit sur cet énergumène, auteur, entre autres, de La Vie de Patachon, Stances, instances et inconstances et La Femme. Ce dernier, publié en 1928, narre les aventures amoureuses de Bernard et contient un poème intitulé "Le bec de gaz" reproduit ici. Bernard s'adresse à Hélène, qui se refuse à lui. Le ton est léger à souhait.

Avec vous, j'ai tout essayé: l'indifférence,
La gentillesse, l'air transi, le désespoir,
La fureur, la rapidité, la patience,
Quand je restais des jours et des jours sans vous voir;

Je vous ai débité des torrents de paroles,
Failli vous violer derrière un paravent,
Pendant un mois, je vous ai presque rendu folle,
Vous suivant pas à pas dans tous les restaurants;

J'ai employé des airs badins et ironiques
J'ai été tour à tour enfant et protecteur;
Je vous téléphonais d'un air si pathétique
Que vous pouffiez de rire à l'autre récepteur;

J'ai tout fait, tous les trucs idiots: la jalousie,
La muflerie, afin de vous exaspérer;
Peloté devant vous vos meilleures amies,
A la fin, j'ai même voulu vous oublier;

Pendant deux ans, j'ai parcouru la terre entière
Pour vous tenir la main dans le fond d'une auto,
En me disant: Elle est la seule, et la première,
Il me la faut, il me la faut, il me la faut;

J'ai vaincu mes timidités insurmontables
Et chaque fois que je me suis jeté sur vous
J'ai toujours rencontré des dents infranchissables
Mais vos yeux n'étaient pas fâchés: ils étaient doux.

Alors ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi ces engueulades,
Vos promesses, mes repentirs mal réfrénés ?
Nous sommes devenus de très bons camarades
Et quand je vous oublie, vous me téléphonez...

Je viens vous voir, vous êtes seule, aimable et belle;
Je ne suis plus pour vous qu'un ami presque froid...
Seriez-vous par hasard une femme fidèle ?
Je ne vous connais pas d'autre "galant" que moi...

Vous m'excitez ; ça, c'est vraiment indiscutable
Et je vous aime, en plus. Que vous faut-il de mieux ?
J'ai roulé à cause de vous sous bien des tables
Pour engourdir d'alcool mon coeur trop amoureux;

J'ai cru d'abord que vous seriez la récompense
De ce coeur oublieux, sans but, sans passion,
Mais plus je vous connais, plus maintenant je pense
Que vous êtes ma première punition;

Vous êtes le refus et vous êtes le doute,
Vous êtes le tourment de ma facilité
Et l'amour vous a mise, à la fin, sur ma route
Pour prouver qu'il existe en toute cruauté;

O vous que je n'ai pas encore possédée,
Vous dont un seul regard peut changer mon humeur
O vous, inattaquable autant qu'inespérée,
Vous qui m'environnez d'un parfum de bonheur;

Ah! résistez longtemps et refusez encore,
Je vous veux une fois pour pouvoir me venger
Car aussitôt tombé ce refus que j'adore
Je vous déteste trop pour jamais vous aimer.

En savoir plus sur Pierre de Régnier :
Pierre de Régnier : Colombine ou la grande semaine (1929)
Pierre de Régnier : La Vie de Patachon (1930)
Pierre de Régnier : Stances, instances et inconstances (1926)

Aucun commentaire: