Suite des œuvres de Pierre de Régnier avec ce qui semble être son livre le plus connu (du moins depuis sa réédition au Castor Astral en novembre 2007), La Vie de Patachon. Dans ce livre fort sympathique, le lecteur accompagne Fifi-Biquet et ses amis dans leurs pérégrinations nocturnes, de bars en bars, de bringues en bringues, de cuites en cuites (cuite étant un des mots préférés de Pierre de Régnier, et pourquoi pas ?). Il est aussi question d'Emma Patachon, femme entretenue dès ses quinze ans par un riche Écossais qui la lâche après une nuit d'infidélités (au pluriel, évidemment: on est Emma Patachon ou on n'est pas). Fifi-Biquet, Emma Patachon et leurs amis vont alors vivre de novembre à juin, six ou sept mois à se lever en fin d'après-midi et à se coucher à l'aube, et, dans ce laps de temps, faire saigner toutes les plaies du Christ.
Ce livre est largement autobiographique et l'on n'a pas de mal à s'en convaincre quand on connait un temps soit peu la vie de Pierre "Tigre" de Régnier, farouchement méconnu (pour le contentement snobinard méprisable de ses admirateurs).
Le résumé du livre est délibérément succinct car il ne se passe à vrai dire rien pendant 200 pages - à part cuites et conséquences (Cuites et conséquences, beau titre de roman !). Il s'agit d'ambiance, comme dans le Penses-tu réussir! de Jean de Tinan, amant de la mère de Pierre de Régnier pendant quelques heures, et dont Pierre aurait aimé être le fils... mais "il n'est que" le fils de Pierre Louÿs, s'il on peut dire. Pierre de Régnier rend d'ailleurs un hommage implicite à Tinan au chapitre 7.
Tinan dans Penses-tu réussir!:
"(J'aime autant vous en avertir tout de suite: on fumera beaucoup de cigares dans ce livre, et d'innombrables cigarettes. Mais c'est comme cela.)"
Régnier dans La Vie de Patachon :
"Ici, lecteur, une parenthèse, si vous le permettez.
Comme vous avez pu le constater, on boit beaucoup, dans cet ouvrage, et on prend beaucoup de bains ; l'élément liquide y joule un rôle important ; on fume énormément de cigarettes, on y fait quelquefois l'amour et on y parle peu. La jeunesse moderne a acquis une réputation bien établie de stupidité ; d'où la présence continuelle du gramophone, chez les femmes d'aujourd'hui, qui les empêche de parler, ou plutôt, qui comble agréablement leurs nombreux silences ; d'où ces longs passages sans un mot, dans le présent livre, plein de descriptions de l'atmosphère des réveils à six heures du soir, et des lentes toilettes parfumées ; voici le point de vue des personnes raisonnables."
Régnier a aussi l'art des titres (comme Jean de Tinan), qui rapproche son livre du conte, avec un certain humour. Ainsi le titre du chapitre 12 : "Comment Fifi-Biquer, à la suite, d'une idée de génie, précipite les catastrophes". Et, surtout, le titre du chapitre 11, qui intervient après 150 pages et cinq mois de fêtes ininterrompues et de dépenses vestimentaires et éthyliques (tout cela sans travailler, bien sûr) : "L'Argent". C'est d'ailleurs dans ce chapitre (un monologue intérieur d'Emma Patachon) que l'héroïne se pose la question d'entre toutes les questions (en ce temps de pouvoir d'achat en berne - et non pas de pouvoir d'achat à Berne): "Pourquoi les hommes que j'aime sont-ils tous fauchés ?" Emma, si tu savais! (titre de mon prochain roman, peut-être...)
Que lit-on dans ce livre ?
On note une réplique qui siérait à un film de Marcel Carné sur des jeunes oisifs mondains (occasionnellement) fumeurs d'opium : "Parole d'honneur, chérie... Je vois des pagodes..." Dernière phrase du chapitre 11. La Vie de Patachon ferait d'ailleurs un très bon film. qui serait aux années 20 ce que Les Tricheurs sont aux années 50. Avis aux réalisateurs. Peut-être qu'Édouard Baër, préfacier de réédition au Castor Astral, peut remédier à cette requête ?
Dessin de Pierre de Régnier, signé Tigre, publié dans la revue La Presqu'île en 1916.
Verdict ?
Le roman de Pierre de Régnier donne envie d'écouter des rag-time, de boire du champagne et d'embrasser des jeunes filles en fleur à pleine langue. C'est déjà beaucoup.
Mais tout est-il si simple et si gai dans le monde de Pierre de Régnier ?
"Il prit un troisième whisky et se complut dans un état d'âme exagérément désabusé..."
Phrase extraite au hasard (qui fait toujours bien les choses, n'est-ce pas ?) des vingt dernières pages du livre. Car... Car, tout ceci (fêtes, hédonisme, ardoises à cinq chiffres dans de nombreux bars et palaces de Paris, alcoolisme mondain, lassitude et superficialité) finit dans une très grande tristesse et une monotonie dignes des lendemains de cuites sévères justement tant de fois narrés dans ces pages. Oui, Pierre de Régnier est attachant. Oui, faire la prendre et prendre des cuites est amusant. Oui, La Vie de Patachon est un livre finalement vraiment triste. Qui fout le cafard. Pendant plusieurs minutes. Triste et beau comme une ballade de The La's ("Over" ou "All by myself" pour les citer). D'ailleurs (d'ici, plus exactement) se lamenter sur la brève œuvre de Pierre de Régnier revient à se lamenter sur celle de The La's.
Comme l'écrit Matthieu Messagier: "J'ai sacrifié mon talent sur l'autel de l'oisiveté". C'est pour ça que j'ai toujours (soyons franc, depuis que j'ai lu cette phrase de Messagier) juré de sacrifier mon oisiveté sur l'autel du talent. Mais c'est beaucoup plus difficile ; et je l'admets sans avoir à citer Nietzsche.
Pierre de Régnier a vécu aux crochets de ses parents et des barmen (aphorisme placé au hasard, que vous pourrez placer à votre tour au hasard d'une soirée sans avoir lu Pierre de Régnier et sans dire que c'est de moi - la vie est formidable).
1 commentaire:
Pierre de Régnier, il était fortiche.
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