En 1991, David Cronenberg sort le Festin Nu, adapté du roman culte de William Burroughs, pourtant jugé (à juste titre) inadaptable. C'est avec eXistenZ le meilleur film de Cronenberg ; ils sont d'ailleurs assez semblables. Dans les années 1970, une première tentative d'adaptation par Brion Gysin et Anthony Balch avait échoué. En 1984, Cronenberg contacte Burroughs pour lui parler de son projet. L'année suivante, ils séjournent tous les deux à Tanger, en compagnie du producteur Jeremy Thomas, pour s'imprégner de la ville où a été écrit la majorité du Festin Nu. En 1990, le tournage commence enfin mais au Canada où des rues de Tanger sont entièrement reconstruites en studio. Le film mélange des passages du livre et de la vie de William Burroughs.
David Cronenberg, William Burroughs et l'acteur Peter Weller. |
Dans un entretien d'époque pour 24 Images, David Cronenberg explique sa démarche : "j'ai voulu adapter Naked Lunch précisément parce qu'il s'agit d'un livre inadaptable [...] J'ai rapidement réalisé que je voulais intégrer le processus créateur au film, pour montrer, au-delà du texte et de son contenu, la machine à écrire et la vie de l'écrivain. Dès que j'ai fait cela, j'ai commencé à questionner la fonction même de l'écriture dans la vie de cet homme et dans la mienne [...] J'ai très rapidement décidé de mêler des éléments de la vie de Burroughs à la trame du roman, auxquels se sont ajoutés des extraits de trois de ses nouvelles : Exterminator, Queer et lnterzone. Burroughs a très bien compris que je devais m’approprier son roman pour l'adapter et il m'a laissé parfaitement libre d'y apporter les changements que je désirais".
Dans un entretien conduit le 24 mars 1991 au Toronto Sutton Place Hotel, William Burroughs donne son point de vue (positif) sur le film de David Cronenberg. Extraits.
Regina Weinreich : pourquoi la première tentative d'adaptation cinématographique du Festin Nu n'a-t-elle rien donné ?
William Burroughs : l'argent. Maintenant que les deux personnes impliquées dans ce projet sont mortes, je peux le dire. Je n'étais pas contant du script de Brion Gyson et Anthony Balch. Mick Jagger devait tenir le rôle principal.
Vous pensez que Mick Jagger était un bon choix pour jouer dans le film ?
Je ne sais pas. Leur idée était de faire une comédie musicale des années 1940. Comme je viens de le dire, je n'étais pas très satisfait du script.
Towers Open Fire était-il une adaptation du Festin Nu ?
Non, rien à voir. C'était juste un court-métrage expérimental qui utilisait des techniques qu'Anthony Balch mettait au point avec Ian Sommerville, Brion et moi-même.
Que pensez-vous du script de David Cronenberg ?
Je l'aime beaucoup. C'est assez différent de tout ce que je pouvais imaginer, ce qui est une bonne chose. Il y a tant de choses dedans - des idées auxquelles je n'aurais jamais pensé : par exemple la machine à écrire. La machine à écrire, qui à sa propre vie, est quelque chose que je n'aurai jamais imaginé. Bien sûr, on peut faire de nombreux films en adaptant le Festin Nu ; on peut en faire un sur la mort de Joselito par exemple.
Et l'utilisation d'éléments biographiques dans le film ?
David avait carte blanche. Tout le film est si bizarre, au-delà des paramètres de la réalité, que je ne considère pas cela comme une intrusion de ma vie privée. Cela dépasse le concept de vie privée.
Même l'événement cataclysmique de la mort de Joan ?
Plusieurs scènes du film proviennent d'autres livres, comme Exterminator!, par exemple. Certaines scènes sont autobiographiques. Pour le personnage de Joan, il faut demander à David Cronenberg. A cause de la structure surréaliste de David, aucune scène du film ne sont rattachées à quelque chose de réel. Donc le personnage de Joan me va parce que c'est un film fantaisiste [...]
Y a-t-il des éléments du Festin Nu que vous auriez aimé ne pas retrouver dans le film ?
Non. Il faut prendre en compte la structure du film et ce que Cronenberg estimait bon pour le film. En d'autres termes, il a avait le contrôle total sur le script. C'était à lui de décider ce qui appartenait ou pas au film.
Vous et David semblaient partager une préoccupation pour les conspirations, les hallucinations et les centipèdes.
Le motif du centipède vient de moi. Je ne me souviens pas avoir vu des centipèdes dans les précédents films de David. Bien sûr, il y a d'autres références à des insectes comme la mouche. C'est certainement quelque chose que nous avons en commun, tout comme les effets spéciaux et les humains se transformant en insectes. C'est un bon début pour travailler ensemble sur un film. Même si, je le répète, il a entièrement écrit le script.
Les Mugwumps ?
Je les aime bien. Dans le film, ils diffèrent de ma vision initiale parce qu'ils sont plus grands et bienveillants. Ils sont extraordinaires. Ils ont ces beaux yeux bleus. On dirait qu'ils sont lents et démunis, pas du tout menaçants. Leurs lèvres bougent. ils respirent. Ils ne ressemblent à rien d'humain.
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