Le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm vient d’être publié aux éditions Serious Publishing, après un travail de 10 ans. Ce dictionnaire essentiel est né sous l’impulsion et la ténacité de Christophe Bier, aidé d’une vingtaine de collaborateurs pour rédiger les résumés et les notules critiques.
Ce dictionnaire, un pavé bien saignant de 1.200 pages, présente et commente 1.812 films érotiques et pornographiques français, d’A bout de sexe à Zob, zob, zob. 16 et 35 mm obligent, l’essentiel des films ont été distribués entre 1975 et 1985, même si l’on trouve des films érotiques datant des années 1910 aux années 1960. Si ce dictionnaire est avant tout savant et scientifique, il fait penser à l’Encyclopédie des Lumières : à l’objectivité des descriptions techniques (production, distribution, réalisation, musique, distribution, titres alternatifs…) succède la subjectivité des rédacteurs, commentant et analysant des films comme Luxure (1975), Viens, j’ai pas de culotte (1982) ou Outrages transexuels des petites filles violées et sodomisées (1985). Ce dictionnaire est donc essentiel pour tout amateur de l’érotisme et de la pornographie gauloises, ainsi qu’aux cinéphiles obsessionnels. Disons-le tout de go : ce dictionnaire fera date. Il est tiré à 1.500 exemplaires, précipitez-vous ! Pour en savoir plus sur ce travail titanesque, nous avons interrogé Christophe Bier, rédacteur en chef du dictionnaire.
Karine Gambier dans Echanges de partenaires de Frédéric Lanzac (1976) |
L’idée de ce dictionnaire est apparue il y a onze ans au cour d’un dîner avec quatre amis. Était-ce d’abord une idée en l’air ou un véritable projet raisonné ?
On avait vraiment envie que ce livre existe. Pourquoi ai-je dit qu’il suffisait de le faire ? J’avais déjà publié en janvier 1999 chez Monster Bis un fanzine sur Eurociné tiré à 400 exemplaires où chaque film était minutieusement décrit. En tant qu’amateur de livres, j’étais également un grand admirateur des catalogues de Raymond Chirat. J’aime beaucoup les catalogues d’ailleurs, les catalogues de films et les ouvrages de bibliophilie. C’est quelque chose qui m’a plu très tôt : j’ai dû acheter mes premiers catalogues de Raymond Chirat quand j’avais 16 ou 17 ans. J’ai toujours été habité par cette soif d’exhaustivité.
Mon rêve est d’avoir des catalogues sur toutes les cinématographies du monde. On est plutôt bien servi sur le plan anglo-saxon mais, par exemple, il manque encore un livre entier sur le cinéma allemand. Beaucoup de sujets sont laissés à l’abandon.
Les gens présents à ce dîner étaient tous des lecteurs de la Saison cinématographique, ce numéro annuel qui sortait par la Revue du cinéma et qui passait au crible tous les films sortis, y compris les films pornos. D’ailleurs, trois des rédacteurs de la Saison cinématographique ont repris du service pour ce dictionnaire. On s’est dit qu’il fallait une Saison cinématographique qui regrouperait tous les films pornos. Par la suite est venue l’idée d’élargir le spectre vers l’érotisme.
Comment s’est faite la constitution de l’équipe ?
Ça s’est fait sur les 10 ans. Certains rédacteurs sont même arrivés il y a à peine un an. Certains ont beaucoup écrit en un an. D’autres rédacteurs ne se sont engagés que sur une poignée de textes. Il y a quelques « invités » qui sont intervenus pour un seul texte ciblé. Par exemple, la notule de Tarzoon la honte de la jungle [film d'animation de Picha et Boris Szulzinger, 1974] a été écrit par un spécialiste de la bande-dessiné, Bernard Joubert. Un des rares films vraiment érotiques des années 1940, Le Destin exécrable de Guillemette Babin [de Guillaume Radot, 1947] a été chroniqué par François Angelier. Un film japonais détourné par les situationnistes, Les Filles de Ka-Ma-Rê [de René Viénet, 1974], a été écrit par un des exégètes de Guy Debord, Shige Gonzalvez.
Sinon, il y a des rédacteurs qui ont fait dix textes, d’autre trente. Il y a des acharnés qui en ont fait cent-trente ou deux-cents. Edgar Baltzer, qui en a fait deux-cents, est arrivé dans l’histoire du dictionnaire en 2006.
Sur dix ans, ça a été une aventure. Certains se sont reposés à un moment donné, puis sont revenus. Jusqu’aux dernières années, j’ai continué à solliciter de nouvelles personnes. J’ai même eu la chance il y a deux ans d’entrer en contact avec quelqu’un qui cherchait des pornos gays, Hervé Joseph Le Brun, qui est maintenant un des programmateurs du Festival de films gays, lesbiens, trans et + de Paris. En 2009, il a réalisé un documentaire sur le porno gay français des années 1970, Mondo Homo. C’était la personne la plus compétente dans ce domaine parce que le porno gay est un sujet particulièrement ardu, une terra incognita, un ghetto dans un ghetto.
Brigitte Lahaie et Danielle Troger dans La Rabatteuse de Burd Trandbaree (1978) |
Y a t-il beaucoup de films perdus dans le porno ? Les films sont-ils conservés, comme les films dits traditionnels ?
Un des problèmes, ce sont les gens qui font des films pornos. Ce ne sont pas forcément des artistes, ce sont souvent des commerçants, des marchands de pellicule, qui déconsidèrent leur travail ou celui des autres, qui n’ont pris aucun soin pour conserver leurs films. Quand la vidéo est arrivée, ce qui avait un intérêt à leurs yeux, c’était le master vidéo maintenant c’est le master numérique. Il y a des films qui ont dû se perdre. Sans compter ce phénomène des films remontés.
Il faudrait faire un état des lieux et que l’État attribue des subventions pour que les Archives du film sauvegardent des films. Ça paraît de l’hérésie de dire cela. A mon avis, toutes les cinémathèques ont des films pornographiques, je n’ai pas frappé à toutes les portes pour faire mes recherches. Les cinémathèques n’ont pas de problèmes avec le porno, elles sont dans l’optique de Henri Langlois qui est de sauvegarder les films quels qu’ils soient. Mais cela ne dépend pas d’elles de considérer la pornographie comme un terrain en péril qu’il faut sauver, c’est à un niveau politique que ça doit se décider. Après avoir fait le « Plan nitrate » pour sauvegarder les films en nitrate, sauvegardons les films pornos parce qu’ils sont dans un état de délabrement total. Mais ça m’étonnerait que ce soit une priorité. Si ça devenait une priorité, ce serait très dur d’imposer aux yeux du public que l’argent de l’État serve à restaurer des films pornos. Bois-d’Arcy [ville des Yvelines qui s'occupe de restaurer les archives françaises du film] a restauré énormément de pornos clandestins mais s’est fait taper sur les doigts par des associations. Quand Bois-d’Arcy restaure un film, le but du jeu, c’est de le montrer. Ces films ont été projetés lors d’une nuit du sexe à la Cinémathèque française, quand elle était au Palais de Chaillot, et il y a eu quelques courriers de protestations.
A propos de la Cinémathèque française, une soirée érotique et pornographique est organisée le 11 juin, à l’occasion de la sortie du dictionnaire. Pouvez-vous nous en parler ?
Trois films seront projetés : cela commencera par une comédie soft de Max Pécas, Sexuellement votre (1974), qui sera suivie par un film surprise de Serge Korber sorti en 1975 et condamné à la destruction à l’époque. La soirée se terminera avec la projection de Maléfices pornos (1977) d’Éric de Winter, une véritable curiosité, un film inclassable.
Maléfices pornos d'Eric de Winter |
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Note : Maléfices pornos est véritablement un objet filmique non identifié. Le film a été offert aux souscripteurs du Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm. Le dictionnaire reproduit les commentaires de la Commission de contrôle cinématographique sur le film d’Éric de Winter : « Ce film pose un problème d’une gravité hors du commun. En dehors des images lourdement et précisément sexuelles, développées dans les modalités les plus sordides – le film se hisse très rapidement à un niveau qui excède le simple classement sur la liste des pornographiques au sens des articles 11 et 12 de la loi du 30 décembre 1975. Il se charge, en effet, de séquences de cruauté et de sadisme – tortures ; scènes de sang ; sévices sexuels – de racisme – une longue scène où un homme noir est complaisamment réduit à l’état d’objet sexuel – de terreur enfin – la vision de l’épouse plongée nue et inconsciente dans un bain d’acide sulfurique. En dépit de l’insigne médiocrité de la réalisation qui en assourdit l’effet, la Commission de contrôle a considéré que ce film déshonorant ne représentait pas seulement une atteinte à la personne humaine, mais un danger pour l’intégrité mentale et psychique d’une part importante du public même adulte. Elle a estimé, en conséquence, à l’unanimité, que le seuil de l’interdiction totale était atteint ».
[Entretien initialement publié le 6 juin 2011]
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