Dans son numéro du 30 décembre 1921, Cinémagazine publie une tribune de l'actrice Florence Vidor, femme du réalisateur King Vidor, sur le mariage et la carrière cinématographique. Un point de vue fort intéressant.
Florence Vidor.
Un toute jeune mariée de mes amies me confiait, il y a plusieurs mois, son désir d'être artiste cinégraphique et me faisait en même temps part de ses craintes.
Son mariage ne serait-il pas un obstacle à sa carrière ?
La naïve, l'aveugle petite chose. Ainsi elle était dupe des absurdités que se plaisent à débiter certains journalistes ? Je la raisonnai de mon mieux, aussi est-elle maintenant une petite artiste très appréciée. Je ne puis naturellement pas vous dire son nom. Si elle atteint un jour la célébrité, une habile publicité informera l'univers qu'elle vient d'avoir 19 ans et, comme son mari n'est pas un artiste en renom, mais un honnête businessman, son existence sera tenue secrète.
Des nombreuses illusions que nourrit le public, deux sont particulièrement fréquentes. La première, sur l'extrême jeunesse de nos principales stars ; la seconde sur le célibat volontaire auquel elles se vouent par amour de l'art. Faites une liste de vos favorites et je suis certaine que les vraies grandes artistes qui figureront sur cette liste seront tout au moins près de la - hum! - trentaine. Pratiquement, presque toutes sont mariées. Voyez Nazimova, Mary Pickford, Norma Talmadge, Maë Murray, Gloria Swanson, Elsie Ferguson, Madge Kennedy, Priscilla Dean, Anita Stewart, Marguerite Clark, Dorothy Philips, Corinne Griffith, Alice Joyce, Ethel Clayton, Vivian Martin, Jane Novak, Maë Marsh, Viola Dana, etc. Je parle d'après les faits, non d'après les fables.
La délicieuse Mae Murray.
Le mariage entrave rarement une carrière si le désir d'arriver est fort et sincère, c'est pourquoi je conseille à n'importe quelle jeune fille de se marier si cela doit être. Je crois pouvoir prouver à mes lecteurs que les plus grandes artistes sont celles qui aiment le plus et, à mon avis, une jeune fille doit apprendre à aimer ; c'est le premier pas dans la direction de la scène et de l'écran. Je puis aussi prouver qu'il est presque impossible à une femme jeune et non mariée, que ce soit au point de vue psychologique ou spirituel, d'être une bonne artiste, alors qu'une femme mariée, d'une trentaine d'années, peut, avec l'aide d'un léger maquillage, interpréter sympathiquement cette période de la vie lorsqu'une jeune sans expérience ne peut naturellement pas tenir le rôle d'une femme plus âgée qu'elle.
Le mariage apporte une aide au développement artistique et esthétique. Une artiste heureusement mariée est plus pate à posséder la pondération, l'élasticité, l'énergie mentales. Elle est toute désignée pour exprimer la vie dans ses plus pathétiques et douloureux moments.
L'écran est le reflet de notre manière de vivre, car chaque geste, chaque mouvement communique à notre audience le langage muet, le langage sublime de toute création, qui est lui-même la création, l'amour, Dieu.
Personnellement, je suis mariée depuis sept ans à mon auteur-directeur King Vidor, nous avons une fillette de 2 ans, le portrait de son père, ce qui ne m'empêche pas - j'étais près de l'oublier - d'avoir, pour le public, toujours 19 ans.
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