En 1928, Jean Epstein décide d'adapter en un long métrage deux nouvelles d'Edgar Allan Poe : La Chute de la maison Usher et Le Portrait Ovale. Bien lui en prend : en plus d'être un sommet du cinéma fantastique, La Chute de la maison Usher figure sans aucun doute parmi les plus grandes réalisations mondiales. Le scénario : appelé par Lord Roderick Usher, inquiet de la santé de sa compagne, avec laquelle il vit dans un château perdu au milieu des étangs et du brouillard, un de ses amis se rend dans ce lieu chargé d'angoisse et d'énigmes. Il trouve Usher, en transe, en train de peindre le portrait de son épouse ; celle-ci s'étiole dans cette atmosphère lugubre, transmettant le peu de vie qui lui reste au portrait (une idée reprise plus tard par Oscar Wilde dans son Portrait de Dorian Gray).
Jean Debucourt, qui interprète Lord Usher, est complètement illuminé. Ses regards pénétrants donnent littéralement la frousse au spectateur. L'ambiance lugubre et malsaine du film est renforcée par les décors extérieurs (la forêt décharnée filmée avec une pellicule un brin baveuse, les brumes épaisses) et intérieurs : la demeure d'Usher est composée de salles immenses dépourvues de presque tout mobilier. Un espace épuré à l'extrême qu'on retrouvera dans le film suivant d'Epstein, Finis Terrae (1929) et ses long plans de l'île d'Ouessant. Cette fascination pour les grands espaces est également prégnante dans La Cicatrice intérieure de Philippe Garrel et ses panoramas islandais.
La Chute de la maison Usher est marqué par une innovation technique : l'intensification du jeu de l'acteur par le ralenti. Dans le Courrier cinématographique d'avril 1928, Epstein explique :
La technique de mon film présentera, parmi les particularités les plus curieuses, l'application très étudiée de l'appareil ralentisseur [...]
Le jeu devant l'appareil de prises de vues normal doit avoir un style particulier que l'on qualifie de cinématographique [...] Il s'oppose au style de l'action théâtrale et même à l'action naturelle telle qu'on l'accomplit dans la vie réelle.
Mais, dans les scènes jouées devant un appareil ralentisseur, l'interprète est libéré de toutes ces contraintes. Il n'a qu'à s'abandonner à son mouvement spontané, à sa conviction intérieure, à sa fougue du moment, telle qu'elle lui est inspirée par le schéma du bout à tourner...
Henri Langlois estimait que La Chute de la maison Usher était "l'équivalent cinématographique des créations de Debussy" : "maîtrise absolue du montage, du rythme où le ralenti, les surimpressions, les travellings, la caméra mobile, jouent leur rôle, jamais gratuitement. L'éclairage des décors les transfigure et leur donne un mystère. Les acteurs font corps avec lui". Ainsi soit-il.
La scène du transport du cercueil, de la demeure d'Usher vers le caveau.