Mae Murray: "Quand vous devenez une star, vous l’êtes pour toujours".
The lady with bee-stung lips. Quiconque voit une photo de Mae Murray ne peut être que frappé par les lèvres peintes qu’elle arbore de façon provocante. Une vamp des années 20, une vamp du cinéma: the gardenia of the silver screen.
Cette beauté quasi-insoutenable choisit la danse pour se faire un nom. En 1908, elle rejoint à New York la troupe des Ziegfeld Follies, l’équivalent américain des Follies Bergères. En 1915, danseuse vedette de la troupe, elle atteint la consécration le soir de la première.
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Cette nuit-là, aux portes du New Amsterdam Theater de New York, la circulation est bloquée, des milliers de spectateurs sans billets font le pied de grue. Dans la salle, parmi bien d’autres, Randolph William « Citizen Kane » Hearst est venu admirer sa tendre et chère Marion Davies.
Levée de rideau.
En princesse perse, vêtue de légères étoffes, Mae Murray exécute en solo la danse d’ouverture: une danse de séduction qui se transforme en danse de mort. Après avoir papillonné autour d’une piscine, la princesse perse monte un escalier en colimaçon et chute d’une haute muraille. Pour sa deuxième danse, elle apparaît devant un écran de cinéma qui diffuse des images de la guerre de Sécession tournées par W.C. Fields. Elle danse au milieu d’un champs de bataille. Prémisses de sa future carrière cinématographique ?
Dans les coulisses, après la représentation, un certain Rodolph Valentino, pédéraste gigolo, offre à Mae Murray un bouquet de fleurs. Quatre ans plus tard, ils sont réunis à l’affiche de Delicious Little Devil. Ils sont superstars.
Les mariages successifs de Mae Murray aident sa carrière en même temps qu’ils causent en partie sa perte. Encore adolescente, son premier mariage avec le fils d’un millionnaire et son divorce quelques mois plus tard lui assurent une rente considérable.
En 1916, elle se lie à Jay O’Brien, champion de bobsleigh et producteur, connu sous le surnom de « Beau Brummell de Broadway ». Cette courte union lui permet de trouver ses premiers rôles.
C’est surtout son troisième mari, Robert Z. Leonard, réalisateur en vue de Hollywood, qui l’introduit dans le cénacle du cinéma. Ils tournent plusieurs films ensemble jusqu’à leur divorce en 1925.
Dans les années 20, le cinéma de Hollywood surpasse tous les arts. Grâce à des réalisateurs, et surtout des actrices, qui profitent du culte de la personnalité naissant. Pensez-vous! Betty Blythe, Vilma Banky, Louise Brooks, Clara Bow, Claire Windsor, Alice White et tant d’autres. Sans parler de Barbara La Marr, cette passerelle entre la Salomé fin-de-siècle et la flapper du Jazz Age américain.
Les Calorifères ne rivalisent pas avec les Néons.
Situons Mae Murray.
Héroïne stendhalienne, elle eût surpassé Mathilde de la Mole.
A sa rencontre, Breton eût jeté Nadja et son infâme livre éponyme dans la Seine.
Artaud eût brisé à la chaîne des tables d’ébène et d’acajou.
Satie aurait eu le regard malicieux qu’on lui connaît.
A la vue d’une seule mèche de ses cheveux cendrés, Bernanos eût déclaré la guerre à la Californie et se serait fendu d’allocutions radiophoniques plus exaltées qu’à l’habitude.
Mais cette histoire se passe en Amérique et la France se console de ses actrices de boulevards.
La mode est à l’image savamment entretenue des tentatrices lubriques et des salopes hollywoodiennes inaccessibles. Actrice du muet et ultra-mondaine, Mae Murray n’est qu’un corps érotique, une croupe à cambrer, des lèvres à peindre et des pommettes à poudrer. Un rang à tenir.
Sur Sunset Boulevard, vêtue d’une robe de plusieurs milliers de dollars, Mae Murray marche comme à son habitude la tête haute, le regard vers les étoiles. Les caniveaux n’existent pas. Le mot d’ordre: Golden Age. Pour l’actrice, l’expression n’est pas une métaphore. À New York, des clients médusés de Tiffany’s voit la Princesse acheter ses bijoux en échange de petits sacs remplis de poudre d’or.
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En 1924, pour sa dernière collaboration avec son mari Robert Z. Leonard, Mae Murray joue le rôle d’une Circé moderne dans Circe the Enchantress. Un rôle de composition ? Séduite par un triste sire alors qu’elle est une innocente jeune fille dans un couvent, elle décide de se venger de tous les hommes. Saisie de repentir au milieu d’une orgie, elle se précipite vers son couvent avant d’être renversée par une voiture et frappée de paralysie. Hollywood oblige, le film, qui jusqu’alors passait pour un conte gentiment sadien, se termine par cette parole christique du héros : « Lève-toi et marche ! »
D’autres scènes d’orgie attendent Mae Murray, pour un film bien plus ambitieux dirigé par un génie dont aucun film intégral n’a survécu.
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Mae Murray fut imposée à Erich von Stroheim pour The Merry Widow. La rencontre entre les deux mégalomanes se passe mal. Chacun veut diriger le film à sa manière et quitte le plateau à tour de rôle. Le tournage s’éternise. Un jour, Mae Murray rattrape son partenaire John Gilbert en courant nue hors du plateau. Une ambiance dissolue qui reflète l’ambiance du film où se côtoient danseuses légères, aristocrates sadiques et fétichistes amateurs d’orgies. Un pandémonium de sperme et d’alcool.
Certains esthètes imaginent aujourd’hui la carrière du noble allemand s’il avait été réalisateur de films pornographiques. Une scène probable: un pénis très dur massé d’une main de fer recouverte d’un gant de crin pour une éjaculation teintée de sang.
Si tous les films de « Von » sont amputés des trois-quarts de leur pellicule, on peut néanmoins admirer ici Mae Murray dans son plus beau rôle. Sûrement le plus beau car il ressemble le plus à la vie rêvée de l’actrice. Le film connaît un succès public immense et une recette de 4,5 millions de dollars au bout de deux ans.
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En 1933, Mae Murray est ruinée. Ses plus beaux jours ont passé. Le cinéma parlant passe le muet sous silence. La plupart des actrices phares des années 20 ont arrêté leur carrière de gré ou de force. Pour Mae Murray, la chute est dure.
Les nouveaux propriétaires de son ancien appartement luxueux de New York lui permettent de vivre dans la chambre de bonne. Une nuit, la luciole de l’Âge d’or est arrêtée pour vagabondage quand elle est découverte endormie sur un banc, dans Central Park.
Elle meurt en 1965, ayant vécu jusque là de la charité d’anciens nababs de Hollywood.
Se remémorant ses années de gloire, Mae Murray confia un jour à Kenneth Anger : « On aurait dit que nous étions comme des libellules, suspendues au-dessus d’un étang : on nous croit glissant sur l’air sans effort, mais en réalité nos ailes vibrent au point d’être invisibles. »
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