Une quinzaine d’années après son recueil Dark Stuff (L’Envers du Rock en français – et qui comprend des articles formidables sur Brian Wilson, Syd Barrett, Keith Richards ou les Happy Mondays), Nick Kent a publié en 2010 ses mémoires des années 1970 : Apathy for the Devil. Le titre parle de lui-même : dans les années 1970, l’innocent rock des sixties était vraiment passé dans le côté obscur, avec ses histoires de dope, de violence, de cynisme et de star system putassié.
Pour Nick Kent, les années 1970 ont débuté en janvier 1972, avec l’apparition de David Bowie, grimé en Ziggy Stardust, et rencontrant un succès international étonnant. 1972 correspond également à la fin des années 1960, selon Anrew Loog Oldham, manager des Rolling Stones de 1962 à 1967. Oldham souligne que, entre 1967 et 1972, l’époque commençait déjà à être plus préoccupée par l’argent et la pérennité de la mode rock. Le rock était devenu un métier à part entière, une carrière, un salariat, et, pour certains, une mine d’or. Les petites frappes vaguement provocatrices des sixties se sont progressivement transformées en êtres viciés, venimeux et vaniteux, comme un personnages pervers issu d’un roman de Jean Lorrain. Les années 70 sonnent comme la fin d’une utopie hédoniste, innocente et subversive. Il faudra l’arrivée du punk vers 1976 pour jeter un coup de pied dans cette idéologie bourgeoise bien huilée. Un coup de pied bien bref, il est vrai, d’autant plus vain quand on compare les dérives marchandes de la musique des années 80 à celles des années 70. C’est donc dans cette époque tourmentée que Nick Kent nous emmène.
Si les 100 premières pages s’attardent sur l’initiation au rock de Nick Kent dans les années 1960 et dressent un panorama large de la scène musicale de l’époque (des MC5 au Grateful Dead, en passant par Can et Captain Beefheart), le reste du livre est divisé en chapitres-années, dont voici quelques passages marquants ou anecdotiques.
1972
Nick Kent écrit ses premiers articles pour le New Musical Express, dont les faibles ventes menacent l’existence. Avec une poignée d’autres journalistes, Nick Kent est chargé de donner du sang neuf au journal et capter le zeitgeist, l’ère du temps, pour attirer des nouveaux lecteurs. A la fin de l’année, soit à l’âge de 21 ans et quelques mois après ses débuts professionnels, Nick Kent va même interviewer Led Zeppelin, alors le groupe-phare du Royaume-Uni. Les choses étaient bien simples à l’époque…
1973
Au cours d’un séjour aux États-Unis, Nick Kent fait son pèlerinage chez Lester Bangs, le célèbre critique pour le journal Creem, fan du Velvet Underground et de Lou Reed, défenseur du rock le plus exigeant. On apprend que c’est à Detroit, en compagnie de Lester Bangs, que Nick Kent écouta pour la première fois le dernier album des Stooges, Raw Power. Au cours de son séjour américain, il rencontre également Iggy Pop et David Bowie. Tout réussit au premier, rien ne va pour le second, en voie de clochardisation et de démence toxique. Incroyable : Iggy Pop est toujours en vie !
1974
Nick Kent rencontre pour la première fois, à Paris, lors d’un concert des New York Dolls, Malcolm McLaren, le futur manager des Sex Pistols. On apprend que McLaren ne s’est pas du tout intéressé au rock entre 1963 et 1974 ! Beatles, Rolling Stones, Who, Bob Dylan, Jimi Hendrix, etc… inconnus au bataillon ! Pour un Londonien branché, c’est bien le comble ! C’est également en 1974 que Nick Kent écrit son fameux article sur Syd Barrett, le fondateur de Pink Floyd, plongé dans une nébuleuse lysergique irréversible depuis 1970.
Syd Barrett en couverture du NME le 13 avril 1974 |
1975
Nick Kent commence à être sérieusement accroché à la cocaïne et à l’héroïne. Il fait brièvement partie des Sex Pistols, en juillet-août, en tant que guitariste. A l’époque, le groupe est composé de Steve Jones, Paul Cook et Glen Matlock. Johnny Rotten ne fera son apparition qu’en octobre. Nick Kent écrit un long reportage sur Brian Wilson, autre génie du rock cramé par le LSD et la paranoïa, dès 1967 – ce qui ne l’empêcha pas d’enregistrer encore quelques bons albums avec son groupe, les Beach Boys : Friends en 1968, Sunflower en 1970 et Surf’s Up en 1971.
1976
Venu saluer John Cale aux studio d’Island Records à Basing Street, Nick Kent croise Bob Marley et ses potes rastas, dans les toilettes, en train de fumer un spliff « gros comme une branche d’arbre ». OK. En juin, au 100 Club, pour faire la promotion des Sex Pistols, Malcolm McLaren charge Sid Vicious, un fan du groupe, de dérouiller Nick Kent avec une chaine de vélo. Sympathique.
1977
Junkie à temps plein, Nick Kent passe ses journées à chercher de la dope et à se défoncer. Dans ses pérégrinations, il rencontre fréquemment Sid Vicious et sa groupie Nancy Spungen. Sid s’est excusé pour l’altercation du 100 Club. Sid est un véritable crétin. Iggy Pop fait son grand retour, chaperonné par David Bowie. Keith Richards se fait serré à Toronto pour détention de stupéfiant, la tournée américaine de Led Zeppelin tourne à la catastrophe, dans un tourbillon paroxystique de violence et dédain. Du grand n’importe quoi, ces années 1970…
Sex Pistols en couverture du NME le 26 mai 1977 |
1978-1979
Les Sex Pistols explose en plein vol, les Clash reprennent le flambeau. Nick Kent raconte avoir rencontré Joe Strummer pour la première en août 1969, au Plumpton Jazz and Blues Festival, à un concert de… King Crimson !
Apathy for the Devil recèle de bien d’autres anecdotes. Une lecture plus que recommandée.
[Article initialement publié le 2 février 2011]