Dans son dernier livre L'Entrée des fantômes, Jean-Jacques Schuhl raconte son première rencontre avec Raul Ruiz. Une histoire pas banale où la guérilla se mêle à la superficialité du premier livre de Schuhl, Rose poussière.
Rose poussière et sa couverture mauve. |
J'ai connu Raul Ruiz en 1975 ou 76, c'était à un déjeuner chez Barbet Schroeder, avenue Pierre-Ier-de-Serbie. Il revenait du Chili où, après le massacre du palais de la Moneda et la mort d'Allende, dont il avait été le tout jeune conseiller en audiovisuel, il avait gagné les maquis. Or, au beau milieu du repas, il m'avait tranquillement affirmé, d'un ton très matter-of-factly, que dans ces maquis de la guérilla il avait lu un livre que je venais de publier qui s'appelait Rose poussière. A peine un livre, un bric-à-brac rafistolé, qui avait dû trouver deux cents acquéreurs à tout casser, une version de Mai 68, de la Révolution, influencée par mes soirées à l'Alcazar, au Carrousel de la rue Vavin et par les films de Marlene Dietrich. "Si ! Je vous assure, c'est vrai !" Et moi je regardais ce visage bonhomme de clown triste derrière sa moustache, et je lui avais dit poliment : "Merci, merci, je suis flatté !" Mais, déjà là, je me demandais, je me le demande encore, si s'moquait pas un peu d'moi, par hasard. C'était une espèce de récit pour fashionistas déglingués sur la mode sophistiquée du Londres de Mary Quant, de Vidal Sassoon et de Christine Keeler, et sur les grâces fatiguées d'un travesti, et je ne voyais pas du tout ce que les faux cils, les make-ups un fanés et délétères des pâles filles anémiques de chez Biba Kensington High Street avaient à voir avec les guérilleros de la sierra, mitraillette à l'épaule, battle-dress en lambeaux... Cette nuance dusty pink allait sur les paupières de la belle Christine mais n'était pas pour les barbus de la sueur. A Raul ça n'avait pas semblé poser de problème ! Il avait son petit livre mauve - c'était la couleur de la jaquette - dans son paquetage avec la cartouchière et la pharmacie de secours ! Il est vrai que question poids, le petit livre mauve, si "svelte", comme s'était moqué un critique, avait son avantage lorsque chaque gramme compte : quatre fois plus léger qu'un numéro de Vogue. Je me suis rappelé ce western où le héros échappe à la mort parce qu'il porte partout la Bible sous sa chemise au niveau du cœur et la balle vient se ficher dedans : une balle des sbires de Pinochet aurait bien pu atterrir dans le visage de Marlene qui ornait en partie la couverture ! En traduisait-il des passages à ses camarades entre deux embuscades ?
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