Extrait d'un article d'Edmond Jaloux sur le cinéma, publié le 1er mai 1934 dans La Revue Belge. Dans ce même numéro on peut lire l'essai "Liberté et civilisation" d'Albert Einstein. Marseillais et Académicien français (à partir de 1937), Edmond Jaloux est écrivain et critique de grande renommée. Parmi ses œuvres, citons Le Triomphe de la frivolité (1903), Les Amours perdues (1919), L'Égarée (1938) et Les Saisons littéraires (1896-1914). Dans son article sur le cinéma, comme beaucoup d'écrivains à son époque, Edmond Jaloux avoue sa déception du cinéma, selon lui à cause des producteurs qui sacrifient la création artistique pour tirer le plus de profits de "sornettes" et de l'utilisation réductrice des "stars". Un avis quelque peu excessif mais non dénué de vérité, en pleine mainmise de Hollywood sur la production mondiale.
"Après avoir fait de rapides progrès, il semble bien que depuis quelques années le cinéma piétine sur place et cherche difficilement sa voie. Ou plutôt, il cherche instinctivement plusieurs voies, et l'erreur générale vient de ce que les producteurs de films s'efforcent de gagner le plus d'argent possible ; ils partent donc de l'idée naïve que, pour obtenir ce résultat, il importe d'abord de faire une avance de fonds très importante. Le danger du cinéma est d'être presque uniquement considéré comme une affaire : que serait l'art si, depuis qu'il existe, il avait été soumis à cette unique conception ?"
"Par ailleurs, la publicité et le goût du public s'étant mis d'accord pour exalter le rôle des "stars", le film est le plus souvent un simple moyen de mettre en valeur l'une ou l'autre de ces fugitives étoiles. C'est ainsi que d'excellentes productions ayant consacré, à l'origine, la physionomie de Greta Garbo et de Marlène Dietrich, nous avons vu depuis ces deux artistes dans un certain nombre de films sans intérêt, où elles se sont usées. Car cette idolâtrie de la "star" n'est pas assez forte pour obtenir des producteurs qu'ils cherchent à donner à leurs favorites un groupement de scènes et d'images dignes d'elles. Tout au contraire, ils n'ont souci que de les vulgariser et des rendre plaisantes à un public de plus en plus vaste pour lequel on les force à se sacrifier peu à peu. Après quoi on les jette au panier de l'oubli et on recommence avec d'autres, sans vouloir comprendre que leur qualité aurait exigé au contraire un ensemble de qualité et non l'obéissance passive de ces femmes à un type d'entreprise que le caprice des succès inattendus modifie chaque trimestre."
"Ces circonstances et bien d'autres pèsent lourdement sur le cinéma et entravent son évolution. Ceux qui l'ont aimé avec un plaisir sincère et sans fanatisme ne peuvent ps ne pas observer cette paralysie avec une certaine inquiétude. Ce n'est pas qu'il n'y est de temps en temps de bons films, mais on attendait de cet art si neuf et si fécond autre chose que des réussites isolées et rares, rendues plus rares par l'invraisemblable abondance des sornettes courantes."
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