Ayler. Nabe. Deux génies du XXè siècle. Il fut évident qu'ils se rencontrassent. Pas physiquement bien sûr. Albert Ayler, nègre mystique, jazzman céleste, fou illuminé, est mort assassiné en 1970, à l'âge de 34 ans. Nabe avait alors onze ans, presque douze. Mais ce grand écrivain français, le seul en activité aujourd'hui, a rendu l'hommage qu'il fallait à Albert Ayler dans son opus La Marseillaise, publié aux éditions Le Dilettante en 1989, l'année du bicentenaire. Dans un chorus de 38 pages, Nabe ramène Ayler à la vie et écrit les plus belles pages consacrées à un musicien. C'est meilleur que son Billie Holliday. Aucune phrase n'est à jeter. Et je lui fait l'injure d'en jeter la plupart car vous lirez ici trois courts extraits de son poème en prose (comment le qualifier autrement ?) sur "ce geyser de larmes qui jaillissait du jazz".
Avant de citer, précisons une bonne nouvelle. La Marseillaise, épuisé depuis quelques années, sera réédité par Le Dilettante en janvier 2009, tout comme Nuages (sur Django Reinhardt) et Le 27è Livre (sa préface à la réédition d'Au Régal des Vermines, livre lui aussi épuisé en quelques mois).
"C'est vrai, au début, quand j'ai découvert Ayler, je l'adorais pour sa force fantastique de provocation. J'avais quatorze ans et le coup de knout que cette musique pouvait asséner à un bourgeois normal me réjouissait au plus profond de moi-même. Bien vite, Ayler ne m'apparut plus comme une arme contre les cons, mais une arme contre moi, le plus con de tous, celui qui allait plonger dans l'extase de cette folie. J'écoutais toute la journée Ayler, totalement transporté par cet anti-humour triste à en pleurer."
[...]
"Qu'est-ce que c'est que cette musique ? Je n'en connais pas de plus subversive aujourd'hui où les jazz de Monk et de Parker sont récupérés, intégrés, "revisités" d'une façon vulgaire, en massacrant les thèmes et les tempos... Vous n'entendrez pas souvent Ghosts d'Ayler à la radio. L'aylerisme fait encore peur. Depuis que j'écoute ça, pas de progrès. Les femmes sortent immédiatement de la pièce, les vieillards ont une crise cardiaque, les jeunes gens ricanent et les chats sifflent. Ca ne passe pas. Les imbéciles sont persuadés qu'il s'agit d'un gag ou que mon pick-up est mal réglé, le disque rayé, que sais-je ?... Aucun ne peut reconnaître qu'il s'agit de la musique la plus céleste qui soit, des mannes sonores qui tombent délicatement sur nous. Des chérubins qui perdent leurs plumes ! Tant de joie grandiose dépasse ! Une musique sans notes qui s'adresse au Ciel. Une musique qui peut faire pleuvoir ! Un chaos joyeux ! La naissance de la Gaité ! Les Fleurs qui dansent ! Ça vous descend ainsi dans les membres, et ça vous les détache ! Vous êtes dans un état de purification spirituelle parfait. Vous participez au salut du monde. Vous jouissez dans une vive flamme d'amour de toutes les catastrophes que cette musique raconte."
"La Marseillaise d'Albert Ayler en 1970 à Saint-Paul fut le chant de cygne du jazz. Albert Ayler était le dernier jazzman.
Albert Ayler est mort.
Albert Ayler est mort. Déjà son corps pasolinien flotte sur l'East River. Comme celui d'Ophélie encombré de nénuphars. Le corps mort d'Ayler, les yeux au ciel, le corps en fleur d'Albert dérive vingt jours, gonflé d'eau.
Ô la mort fangeuse d'Albert, comme Ophélie tombée à l'eau tandis qu'elle grimpait sur une branche fragile pour suspendre aux rameaux inclinés sa couronne de fleurs d'amour...
Et si Ayler était mort comme la jeune folle d'Hamlet ? Continuant de fredonner des ritournelles spirituelles alors que ses vêtements enfin lourds de ce qu'ils ont bu la précipitent au fond.
Ophélie coule lentement. She chanted snatches of old tunes, comme le dit Shakespeare.
14 juillet 1989. Je suis couché sur mon lit. J'ai éteint la lumière.
Je regarde le plafond.
Le fantôme d'Albert m'empêche de dormir.
Les feux d'artifice seuls m'éclairent.
J'écoute la Marseillaise d'Albert Ayler."
En bonus, car vous avez maintenant envie d'écouter Albert Ayler, ce lien magique, un concert d'Albert Ayler à Paris en novembre 1966.
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mot de passe: jazzzy
7 commentaires:
N'étant guère fana de ME Nabe, j'ignorais ce texte... Mais s'il doit ressortir, je vais m'empresser de l'ajouter à ma bibliothèque (où manque également "les treize morts d'Albert Ayler")
Es-tu sur qu'il est mort assassiné ? Je croyais qu'il s'était suicidé...
Effectivement j' ai pu essayer le albert ayler en public, et même en fin de soirée peu de gens en redemande...
Ps: il est mort noye...
merci pour les extraits
je sais c'est vieux....mais je viens de découvrir ton espace...j'ai vu Nabe et je suis entré..tu pourrais pas remettre les liens pour le concert d'Ayler des fois?
Pas le même concert, je crois, mais : Albert Ayler, July 25, 1970 in Saint-Paul-de-Vence, France: http://www.megaupload.com/?d=NH1CWRVZ
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