samedi 22 décembre 2012

La prostitution lisboète par Dominique de Roux


En mars 1977, deux semaines avant sa mort, Dominique de Roux publie le roman Le Cinquième Empire, une "histoire possible imaginée" sur la révolution portugaise et le mouvement de décolonisation en Angola, au Mozambique et en Guinée. Un roman inspiré du véritable engagement de Dominique de Roux, alors conseiller spécial de Jonas Savimbi, fondateur de l'UNITA, un mouvement politique et militaire antimarxiste en Angola. Un combat voué à l'échec dans une période où la Guerre Froide imposait deux attitudes aux pays africains indépendants : rejoindre l'Empire étasunien ou adhérer à l'axe russo-cubain. Partisan d'une troisième voie africaine, Jonas Savimbi prit les armes mais ne reçut pas les soutiens escomptés pour mener à bien sa révolution.

Les cent premières pages du Cinquième Empire se déroulent à Lisbonne. On y trouve notamment trois paragraphes sur la prostitution lisboète. Une prostitution qui diffère de la froideur industrielle qu'on trouve à Paris. Échoppe familiale contre usine. Un Lisbonne aujourd'hui disparu ?

Dominique de Roux et Jonas Savimbi en Angola.
Glycines, fleurs du pin, les bouquets de roses en forme de pomme de pins, odeurs, la nuit, lorsque je me glissais sur les pentes de la Misericordia. Chaque fois, on change d'atmosphère. Une ville dont certains itinéraires n'ont pas bougé depuis le XVIIè siècle, qui ne connaissent pas l'asphalte - avec de vraies putains qui reçoivent en famille les permissionnaires, discutant du prix sous les voûtes manuélines aussi fuyantes que cette langue portugaise en z qui exprime si tristement que tout s'en va, tout file et meurt.

Elles attendent dans l'ombre, les échassières, passant indéfiniment de l'essence à l'existence, et leurs clients, au contraire, de l'existence à l'essence. Mais, si vous arrivez à baiser trois fois consécutivement, vous ne payez pas, "c'est l'amour". A Paris, au contraire, la première roulante venue proteste : "Pars, je n'ai pas le temps ou donne un cadeau ! Et je t'avertis, on paie d'avance ! Et t'imagine pas que je vais me déshabiller entièrement (adverbe de manière)". Sur son établi, elle doit faire cent clients par jour. Elle n'est que la marmite, la soupière du dos-vert. "Les clients, pour moi, c'est un piquet, un rideau. Rien, je ne sens rien".

A la Misericordia, point de répertoire ni de créneaux précis qui répondent aux demandes. On ne tremble pas à observer les réactions de la michetonne. Discrètement, on dépose les escudos dans son sac. Elle ne veut pas le savoir. Et un seul whisky, si vous voulez consommez ensemble. La pute lisboète ne vit pas une économie marchande. Elle ne maximise pas le profit. Il lui arrive même de danser par besoin de l'illusion romantique et, mourriez-vous pendant l'acte, qu'elle s'accuserait d'homicide par imprudence".

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