Le cinéma de Corée du Nord est fort méconnu, et ce, à juste titre, puisque le régime nord-coréen rechigne à exporter ses productions nationales en Occident - sauf cas exceptionnel comme Journal d'une jeune Nord-Coréenne en 2006. Grâce à Internet, il est malgré tout possible de visionner plusieurs films nord-coréens, comme The Broad Bellflower (Campanile en français) de Jo Kyong-sun (ou Kyun Soon Jo), distribué en 1987 - année de la création du Festival international du film de Pyongyang. On connaît la passion de feu Kim Jong-il pour le cinéma puisqu'en plus d'avoir réalisé des films (dont Sea of Blood sur la guerre entre le Japon et la Corée), il a également écrit des essais comme De l'art cinématographique. Deux reportages sur l'industrie cinématographique nord-coréenne sont particulièrement intéressants et incontournables : celui de Vice et celui d'Al Jazeera.
Le cinéma nord-coréen s'inspire du réalisme socialiste déjà développé en URSS et en Chine. Le cinéma doit donc représenter le peuple et glorifier le régime politique. C'est le cas dans Broad Bellflower, qui narre le quotidien de villageois des années 1950, entre amours personnelles et développement des infrastructures. La mise en scène est particulièrement soignée puisqu'elle alterne les séquences entre le présent (le retour de Park Won Bong dans son village après l'avoir abandonné une trentaine d'années plus tôt) et le passé (l'explication du départ de Park Won Bong). La morale de l'histoire est simple : plutôt que d'abandonner son village natal pour chercher le bonheur et la prospérité en ville, mieux vaut rester dans son village, même pauvre, afin de le développer et de vivre dans un paradis possible grâce au régime communiste. Le mot "paradis" est d'ailleurs employé à plusieurs reprises par les acteurs pour qualifier leur village.
Dans son article "Le cinéma nord-coréen : arme de destruction massive ?", Antoine Coppola écrit : "dans Broad Bellflower de Jo Kyong-sun, film esthétisant, complexe, aux accents littéraires marqués, c’est une femme appelée à une brillante carrière à la ville qui y renonce pour rejoindre un village isolé en voie de désertification, soudain consciente des besoins des paysans dont les cultures sont menacées". En effet, le film glorifie les actes de Jin Song Rim (interprétée par Mi Ran Oh, "actrice du peuple") qui n'hésite pas à sacrifier son amour pour Park Won Bong et préfère rester dans son village natal plutôt que de partir en ville. Une des trames principales du film est la modernisation du village, surtout son rattachement au réseau électrique, symbole du progrès.
Impatient et individualiste, Park Won Bong préfère quitter son village plutôt que d'attendre "100 ans" sa modernisation. Au contraire, Jin Song Rim préfère couper du bois sous la neige pour construire des poteaux électriques et participer à l'amélioration de son train de vie et de celui des autres villageois. Dans sa dévotion, elle ira même jusqu'à mourir en voulant sauver une brebis lors d'un violent orage. Malheureusement pour elle, elle meurt en raison de son acte héroïque. Consécration posthume : elle figurera dans le registre du village comme "héroïne". L'honneur est sauf. Le régime communiste est légitimé.
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