Venise, 26 octobre 1967. Vanni Ronsisvalle filme la rencontre lumineuse entre deux des grands poètes du 20è siècle : Ezra Pound et Pier Paolo Pasolini. Quelques mois plus tard, le résultat sort sous le titre Un'ora con Ezra Pound, un documentaire de 50 minutes, bien rarement projeté sur les toiles. Ce fut le cas le 21 juin 1989, sous la Pyramide du Louvre. Marc-Édouard Nabe, également poète, était dans la salle. Extrait :
Je repars sous la Pyramide du Louvre voir un premier programme de documents et d'interviews de Pasolini. Des bribes d'actualités, des émissions italiennes, des émissions italiennes sous-titrées jamais vues. ça va trop vite. J'essaie de tout avaler. Ces archives renforcent encore, par la connaissance, mon amour de Pasolini. J'ai pas fini d'écrire sur ce saint subversif ! Je vois sa mère parler de lui, présenter son bureau, ses affaires... Ensuite, une musique de Roland Kirk au strident stritch accompagne une balade de Pasolini dans une borgada où il parle de l'avant-garde (1967). Et surtout je vois ce film de 23'58" [50' en réalité] que je désespérais de voir un jour : la rencontre Pasolini / Ezra Pound ! Bouleversant moment de 1967, dont je ne perds pas une goutte. Ezra face à la mer, Pasolini dans son fauteuil dessinant le visage du vieux poète qu'il arrive, par la force de son admiration fougueuse, à intéresser. Pound petit à petit voit bien que ce petit Italien ravagé n'est pas un journaliste. Il comprend à qui il a affaire : d'ailleurs, il lui dit - péniblement et en italien - que Pasolini est trop profond pour lui désormais. Alors, Pasolini lit des poèmes de Pound, le persuade qu'il existe une cohérence là où le vieux Yankee brisé ne voit que chaos ancien...
Pasolini l'a devant lui ce quaker fasciste, roux comme un vieux renard enragé ! Poète, traducteur, imprésario, speaker, scribe, Ezra a la tête pleine comme dans une cage, et qui piaillent et pépient sans cesse des poèmes courtois, des odes provençales de troubadours, des hiéroglyphes égyptiens, des idéogrammes chinois, des vers de Laforgue et de Corbière, de drôles d'oiseaux ! Ezra Pound se laisse admirer comme au zoo : il ressemble à un fauve sur le pelage duquel les rayures des barreaux ont laissé des traces indélébiles... Avec son air de cow-boy chercheur d'or crispé, barbichu à la Méphistophélès, ex-râleur devenu muet, Pound est là, face au cinéaste. Il le regarde comme un mandarin "wasp" (c'est en se gargarisant des histoires sanglantes de missionnaires protestants massacrés par les Chinois que Pound a pris goût à la Chine !)... Ezra et Pier Paolo !... Peut-être revient-il à l'instant à l'esprit du futur auteur de Salo les cantos XIV, XV, particulièrement pasoliniens ?
Je repars sous la Pyramide du Louvre voir un premier programme de documents et d'interviews de Pasolini. Des bribes d'actualités, des émissions italiennes, des émissions italiennes sous-titrées jamais vues. ça va trop vite. J'essaie de tout avaler. Ces archives renforcent encore, par la connaissance, mon amour de Pasolini. J'ai pas fini d'écrire sur ce saint subversif ! Je vois sa mère parler de lui, présenter son bureau, ses affaires... Ensuite, une musique de Roland Kirk au strident stritch accompagne une balade de Pasolini dans une borgada où il parle de l'avant-garde (1967). Et surtout je vois ce film de 23'58" [50' en réalité] que je désespérais de voir un jour : la rencontre Pasolini / Ezra Pound ! Bouleversant moment de 1967, dont je ne perds pas une goutte. Ezra face à la mer, Pasolini dans son fauteuil dessinant le visage du vieux poète qu'il arrive, par la force de son admiration fougueuse, à intéresser. Pound petit à petit voit bien que ce petit Italien ravagé n'est pas un journaliste. Il comprend à qui il a affaire : d'ailleurs, il lui dit - péniblement et en italien - que Pasolini est trop profond pour lui désormais. Alors, Pasolini lit des poèmes de Pound, le persuade qu'il existe une cohérence là où le vieux Yankee brisé ne voit que chaos ancien...
Pasolini l'a devant lui ce quaker fasciste, roux comme un vieux renard enragé ! Poète, traducteur, imprésario, speaker, scribe, Ezra a la tête pleine comme dans une cage, et qui piaillent et pépient sans cesse des poèmes courtois, des odes provençales de troubadours, des hiéroglyphes égyptiens, des idéogrammes chinois, des vers de Laforgue et de Corbière, de drôles d'oiseaux ! Ezra Pound se laisse admirer comme au zoo : il ressemble à un fauve sur le pelage duquel les rayures des barreaux ont laissé des traces indélébiles... Avec son air de cow-boy chercheur d'or crispé, barbichu à la Méphistophélès, ex-râleur devenu muet, Pound est là, face au cinéaste. Il le regarde comme un mandarin "wasp" (c'est en se gargarisant des histoires sanglantes de missionnaires protestants massacrés par les Chinois que Pound a pris goût à la Chine !)... Ezra et Pier Paolo !... Peut-être revient-il à l'instant à l'esprit du futur auteur de Salo les cantos XIV, XV, particulièrement pasoliniens ?
Extrait du Cantos XIV:
Au-dessus de la pourriture d'enfer
le grand trou du cul,
rompu par les hémorroïdes,
stalactites qui pendent,
gras comme le ciel sur Westminster,
les invisibles, dont maints Anglais,
lieu qui manque d'intérêt,
derrière les crasses, décrépitude absolue,
croisés du vice pétant dans la soie,
agitant les symboles chrétiens,
.......... tripotant un flageolet,
Mouches qui portent les nouvelles, harpies en chiant en l'air
Bourbier de menteurs acariâtres,
fosse de stupidités,
stupidités néfastes, et stupidités,
pus vivant du sol, plein de vermine,
vers morts engendrant vers vivants,
propriétaires de taudis,
usuriers extrayant les morpions, entremetteurs de l'autorité,
*pets-de-loup*, bien assis sur les piles de livres pétrifiés,
obscurcissant les textes avec leur philologie,
les cachant sous leur personne,
l'air sans refuge de silence,
dérive des poux, se faisant les dents,
et par-dessus les orateurs qui déblatèrent,
la pétaudière des prédicateurs.
Et Invidia,
corruptio, fœtor, fungus,
animaux liquides,ossifications amollies,
lentes pourriture, combustion fétide,
bouts de cigares mâchés, sans dignités, sans tragique,
......m Episcopus, secouant un condom plein de blattes,
monopolisateurs, obstructeurs du savoir,
obstructeurs de la distribution.