dimanche 14 février 2010

Shigeyoshi Suzuki - Le geste inexpliqué de Sumiko (1930)


Succès de l'année 1930 au Japon et chef-d'œuvre du cinéma prolétarien, What made her do it ? (Le Geste inexpliqué de Sumiko en français) fut considéré comme perdu pendant plusieurs années avant d'être retrouvé à la Gosfilmofond Russian National Film Library dans les années 1990. Malheureusement, les premières et les dernières minutes du film sont manquantes. Restent donc 75 minutes de bobines.


Le film narre les pérégrinations de Sumiko à travers le Japon des propriétaires et des puissants. Un mélange entre les romans picaresques de Sade et la doctrine communiste en pleine expansion. La phrase liminaire est explicite : "la vie est un long chemin de souffrances jusqu'à la mort". Ici, même les pauvres sont mesquins et corrompus par le désir de richesse. Comme l'écrivait le sanguinaire Robespierre en son temps, "la richesse corrompt ceux qui la possèdent et ceux qui l'envient".


L'histoire commence quand la jeune fille Sumiko se rend chez son oncle à la demande de son père, poussé au suicide par la maladie et la pauvreté. Sumiko arrive chez son oncle en croyant enfin pouvoir aller à l'école et apprendre à lire. Hélas, l'oncle n'a qu'une idée en tête : faire de Sumiko une bonne à tout faire avant de la vendre à un cirque ambulant. Le propriétaire du cirque est aussi abject, avare, sadique et pervers qu'un aristocrate débauché de chez Erich von Stroheim. Sumiko sera ensuite bonne pour la famille abjecte et hautaine du maire de la ville, puis bonne pour un être libidineux qui tente de la violer et enfin, après une tentative de suicide, entrera dans un couvent. Dans la scène finale, véritable climax malheureusement manquant (cette satanée bobine manquante !), Sumiko doit confesser ses péchés en public (comme 30 ans plus tard avec l'autocritique maoïste) et exulte contre les faux semblants de directrice du couvent : "Dieu n'est pas Amour, c'est un mensonge ! Je vous ai demandé le pardon et vous continuez à m'humilier ! Si Dieu était Amour, il m'aurait déjà pardonnée. Tout ça n'est que mensonge !" Dans un geste désespéré et devenue littéralement folle, Sumiko brûle l'église et danse au milieu des flammes. D'où l'interrogation finale : "Qu'est-ce qui lui a donc pris ?"



Dans la tradition des films prolétariens, Le Geste inexpliqué de Sumiko réussit parfaitement à provoquer l'indignation et la colère du spectateur. Face à une telle injustice sociale, le spectateur ne peut que compatir à Sumiko et haïr profondément les propriétaires et les institutions. Lors des scènes de repas, c'est-à-dire l'acte premier pour survivre, lorsqu'on voit Sumiko privée de nourriture ou devant se contenter de restes alors que les autres se goinfrent, gaspillent et se plaignent d'un assaisonnement, on pense à la scène de nourriture avariée dans Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein. Rien à dire : quand il est bien réalisé, le cinéma prolétarien est un appel à l'insurrection.


Mention spéciale à Keiko Takatsu qui incarne Sumiko, pauvre Justine prolétaire nippone, dont le visage filmé en gros plans porte à la fois toute l'innocence et tous les malheurs monde. On pense parfois à La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer, où le réalisateur danois ne se lasse pas de filmer le visage martyr de Renée Falconetti. Sumiko est quant à elle la martyre du capitalisme.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut,
Pourrais-tu me dire où trouver ce film il m'intéresse vraiment ?
Merci d'avance !

tomblands a dit…

Le film n'est pas disponible en DVD mais on peut le télécharger en "torrent" ici: http://extratorrent.com/torrent_download/1713163/Shigeyoshi+Suzuki+-+Nani+ga+kanojo+o+hadaka+ni+shita+ka.torrent