lundi 26 décembre 2016

Interview avec Pierre Reinhard et Christophe Bier sur le cinéma pornographique


La conversation avec Christophe Bier, éditeur en chef du Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques 16 et 35 mm fut l’occasion de croiser le réalisateur Pierre B. Reinhard, venu chercher l’exemplaire du Dictionnaire pour Jean-François Davy, célèbre réalisateur des années 70, à qui l’on doit notamment Q (1974), Exhibition (1975) et Prostitution (1975). A l’entretien liminaire avec Christophe Bier, succède donc cette discussion croisée entre Christophe Bier et Pierre B. Reinhard. Où l’on aborde la carrière de Reinhard, de ses débuts à ses dernières productions pour Canal +, en passant par le virage des années 80 et la portée sociale des films pornographiques.

Parmi les réalisations de Pierre B. Reinhard (parfois sous le pseudonyme de Mike Strong), on peut noter Entrecuisses (1977), Trois Bavaroises à Paris (1981), Baisez les otages (1981), Délices d’un sexe chaud et profond (1982), Voluptés anales (1986) ou James Bande contre OS.Sex 69 (1986).

Vous venez de tourner un film pour les fameux premiers samedis du mois de Canal +. Le cahier des charges de la chaîne cryptée, très strict, n’est-il pas trop contraignant ?

Pierre Reinhard : Pas du tout. Ce cahier des charges me convient parfaitement. J’aime bien les choses très clean, ce n’est ni graveleux ni sale. Je n’ai pas envie de participer à la dégradation humaine, au contraire, je mets plutôt les filles sur un piédestal pour les magnifier. Canal +, c’est du « soft hard » qui me convient.

Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le cinéma ?

Pierre Reinhard : J’ai commencé à réaliser en 1977 mais je suis entré dans le milieu du cinéma bien plus tôt, à l’époque où j’étudiais les Beaux Arts en section peinture, vers mes 15-16ans. Je travaillais alors comme stagiaire « surnuméraire » sur des grosses productions comme Le Cerveau de Gérard Oury, avec Jean-Paul Belmondo et Bourvil (1969) ou La maison sous les arbres de René Clément, avec Faye Dunaway (1971). Quand il y avait des scènes de nuit ou de jour avec de la foule, je me servais de walkies-talkies pour bloquer des routes, pousser un groupe de figurants.

A la même époque, j’avais également monté un atelier de cinéma avec un ami qui était au département photo des Beaux Arts. Nous avions comme projet de stocker des photos des élèves. On faisait des courts métrages sur l’école. Puis, j’ai voulu faire du montage, ce qui était capital pour moi parce que j’entendais de ci de là des réalisateurs qui n’étaient pas très contents de leur monteurs. Je me suis dit : « si un jour je suis réalisateur, il faudrait que je sache monter ». J’ai donc fait du montage pendant deux ans avec les frère Kikoïne, Gilbert et Gérard, qui m’ont tout appris sur le fil du rasoir. Ils m’ont donné carte blanche, j’ai fait plein de montages pour d’autres réalisateurs, dont des films traditionnels, avant de monter mes propres films.

Un jour, je me suis mis à monter un film de Francis Leroi qui m’a demandé si je n’avais pas envie de réaliser mes propres films. Je n’avais pas donné suite à ce moment mais six mois plus tard, il est revenu avec un autre film en me demandant si j’avais réfléchi. Je lui ai répondu que ça m’intéressait et que je connaissais un ami qui travaillait comme nègre aux éditions RTL. J’ai parlé à cet ami et on a écrit le scénario du film Entrecuisses, avec Brigitte Lahaie (1977) qui a été un succès. A la suite de cela, plusieurs productions m’ont appelé et je me suis collé un X dans le dos.

Christophe Bier : C’est dans Prenez la queue comme tout le monde (1973) que tu as débuté avec Jean-François Davy ?

Pierre Reinhard : Absolument. J’ai ensuite travaillé comme assistant en 1974 sur L’Amour à la Bouche de Gérard Kikoïne. Il m’a dit : « Aide-moi à faire le film et je t’apprends à faire le montage ». C’est comme ça que j’ai commencé à faire des montages.



Quelles sont les différences entre le cinéma pornographique des années 1970 et celui des année 2000 ?

Pierre Reinhard : Depuis 5 ou 6 ans, la technologie a permis d’approcher une image presque fidèle du 35 mm.Au début, le format vidéo n’était pas terrible mais très économique. A l’époque de la pellicule, quand on déclenchait la caméra, on savait qu’il y a un ou deux mètres de pellicules qui défilaient, et quand on connait le prix et les retombées post-tournage (développement, tirage des copies, etc.), c’était très lourd. Aujourd’hui, on peut tourner sans se poser de question. Une cassette DV veut 2 euros pour une heure de bande en HD. On peut laisser tourner la caméra, il y a plus de souplesse.

Outre cette évolution technologique, on peut dire qu’il y eu une escalade sans limite vers le hard. Après 1981, j’ai refusé de tourner plusieurs films. Dès que Mitterrand est arrivé, il y a eu une application de la loi X votée sous Giscard qui a été appliquée à la lettre. Avant cette loi, un film pouvait sortir en version X et en version soft en même temps, ce qui permettrait d’obtenir des subventions. Quand la loi est passée, les budgets ont été divisés par dix. Certains se sont mis à faire des films en une journée. Moi, je ne sais pas faire des films en une journée. Mes premiers films ont été tournés en trois semaines. Après, ça c’est réduit, je tournais en huit jours. J’ai fait un film qui me plait beaucoup d’ailleurs, La Voisine est à dépuceler (1983) en un jour et demi [ndla : dans le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques 16 et 35 mm, la notice de film se termine ainsi : "la lumière inonde les scènes finales, amplifiant la montée du plaisir et de la dilution des personnages dans une sorte d'orgie solaire que n'aurait pas reniée Georges Bataille"]. Ça relève du miracle.

Au niveau de l’escalade dans le sexe, on m’a demandé des choses innommables que j’ai jamais voulu faire. Aujourd’hui, c’est de nouveau très difficile : avec tous les sites Internet, on peut visionner gratuitement des séquences ou des films entiers. Faire des films de qualité, si l’on n’a pas d’argent, c’est impossible. Il n’y a qu’une seule chaîne de télévision au monde, Canal +, qui paie encore pour pouvoir faire des films corrects. Sans ça, on ne ferait que du gonzo bas de gamme. Cela représente une diffusion de 12 films par an. Mais les films coûtent plus cher que ce que Canal + les achète. Vu le cahier des charges de la chaîne, c’est difficile de faire du prix coûtant. Si l’on veut des beaux décors, des belles filles, du maquillage, du son, un casting prestigieux et un scénario, cela finit par coûter assez cher. Si l’on a pas les financements, on tourne des gonzos. J’en ai ait beaucoup pour le kiosque : des séries de dix parfois. Ça allait encore quand on me payait correctement mais maintenant il y a de moins en moins de clients qui achètent des films sur le kiosque. Donc le prix d’achat a encore baissé. A un moment, s’ils achètent un film 2.500 euros… Un petit gonzo avec une histoire et cinq scènes, ça coûte au minimum 5.000 ou 6.000 euros. Donc on arrive dans une impasse.

[Pierre Reinhard s'absente quelques instants]

Je trouve le cinéma pornographique des années 70 immédiatement identifiable, surtout en raison des décors, des vêtements et des mœurs mis en avant. Je pense d’ailleurs la même chose pour les films de Claude Sautet et Éric Rohmer. Par exemple, lors des scènes tournées sur les lieux de travail, on ne voit jamais les acteurs travailler mais plutôt le patron s’amuser sous le bureau avec sa secrétaire.

Christophe Bier : Dans les années 1970 peut-être mais il y a des exemples de films pornos tournés après 1981-1982, où le chômage commence à progresser, où il y a des scenarii avec des gens qui errent dans les rues, qui espèrent gagner au loto parce qu’ils ne font rien de leur journée… On trouve des préoccupations qui sont toujours liées à l’époque. Une des vertus du Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques 16 et 35 mm est de montrer que le porno standard n’existe pas. Par exemple, il y a un porno d’Alain Payet tourné dans une usine où les ouvriers faisaient grève. Sinon, c’est vrai que dans les années 1975-1980, il y avait un courant un peu bourgeois où l’on voyait toujours un peu le même type de représentations sociales, le patron, la secrétaire, des gens qui n’avaient pas trop de problèmes, comme dans le cinéma traditionnel de l’époque. Le porno gay était un peu plus ancré dans une réalité sociale difficile, peut-être parce qu’à l’époque les homosexuels étaient dans un combat pour leurs droits. Il y a un porno qui se passe aux Buttes Chaumont, puis dans le métro avec une véritable scène non simulée dans un wagon. Ce sont des choses qu’on ne voit pas dans le porno classique.

Le Cri de la chair de José Benazeraf (1962)

On peut évoquer le cas de José Benazeraf, surnommé le Godard du porno ?

Christophe Bier : José Benazeraf aimait bien provoquer. Mais derrière la provocation, il y avait parfois des choses assez étonnantes. Il aimait bien parsemer ses films de discours politiques, de références philosophiques où il parle de Bernard-Henri Levy dans Hurlements d’extase (1979). Il bousculait les conventions. Il faisait déjà ça dans les années 1960 avec ses films érotiques.

[Pierre Reinhard revient et la discussion revient sur l’aspect social des films pornographiques]

Christophe Bier : Dans les années 1980, on trouve beaucoup de road movies avec des gens paumés, qui reflètent les problèmes sociétaux de l’époque. Le porno n’est pas confiné dans une bulle, ou alors dans la bulle du gonzo, entre quatre murs. Et encore, même là, je pense qu’on pourrait déceler des indices sociologiques.

Pierre Reinhard : Je viens de tourner deux films. Dans le premier, le gars sort de prison, il fait de l’auto-stop et débarque à Guiberville, dans la Manche pour chercher du boulot. J’aime bien l’ascension sociale, c’est un peu rêve. Le second film parle d’une fille dont le père meurt. Sa demi-sœur veut absolument vendre la maison familiale mais la fille refuse. Son copain qui est palefrenier lui dit : « ma grande si tu veux garder quelque chose, il faut que tu travailles ». Donc, elle cherche du boulot et travaille dans un salon de coiffure. Finalement, elle apprend qu’elle hérite d’un empire comme l’Oréal. J’aime bien ce côté conte de fées.

[Entretien initialement publié le 10 juin 2011]