En janvier 1975, Jean-Jacques Schuhl écrit ce texte magnifique sur William Burroughs qui explique beaucoup de choses sur la technique et les fins littéraires de l'écrivain français. Rétrospectivement, ce texte s'affirme comme une explication du livre Télex n°1, publié en 1976 et enfin réédité cette année. Ce texte fait également penser à la phrase que prononce Jean-Pierre Léaud dans le film de Jean Eustache, La Maman et la putain (1973), film qui doit beaucoup à Schuhl, compagnon nocturne d'Eustache : "Parler avec les mots des autres, ça doit être ça la liberté".
William Burroughs et sa machine à écrire Royal. |
Le cut-up existe sans Burroughs. c'est le journal. Les dépêches d'agence ont été déchirées, puis montrées. Il suffit alors de lire son quotidien sans se plier aux renvois en page intérieure (la suite, c'est ce qu'il y a à côté), c'est-à-dire comme un livre, en balayant toute la page, et en connectant les diverses rubriques. C'est un ready-made-cut-up. Pour ma part, je travaille à partir des journaux qui sont ce que reflète le mieux le discours officiel - surtout France Soir. Mais plutôt que de casser le sens, comme fait Burroughs, je préfère le miner de l'intérieur, le trahir, feindre de jouer son jeu, et le brouiller. Je prends donc une coupure de journal qui me séduit comme un beau symptôme, et la met en relation avec d'autres coupures, ou d'autres coupures (all around), ou avec ce qui se trouve au verso de la page (je découpe au ciseau la page et regarde ensuite ce qui se trouve au dos, matériellement ce qui est en rapport avec ce que j'ai voulu découper), ou en transparence à la lumière d'une lampe, pour obtenir un texte spectral (see-through). On peut dire qu'il s'agit d'une recomposition du journal, d'une redistribution de ses éléments, avec de minces jeux, des citations à peine déplacées, de légers décalages, des glissements, des transparences, des télescopages, mine de rien, d'une rubrique "sérieuse" (politique) et d'une rubrique "frivole" (turf, jeu des 7 erreurs). il faudrait qu'on y voit presque que du feu, que ce soir presque nneutre.Le cut-up de Burroughs casse les circuits de la pensée. je préfère essayer de les pervertir doucement, de façon non-réparable.Le réserve que je fais quant au cut-up est que c'est un peu trop cut, je préfère un démontage plus sournois où l'on mime le récit traditionnel et le mine. Glissements, court-circuits, décalages, blancs, petits grincements à l'intérieur du discours académique, plutôt que de cassures (il faut que ça ne casse rien). Exemple à suivre : Lautréamont. J'aimerais qu'on se dise : c'est ça, c'est bien ça, ce n'est que de la gentille actualité, et pourtant ! et pourtant ! Mais on ne sait pas dire ce qui se passe, d'où vient le trouble. Quelque chose comme la voix ou le geste d'un travesti, d'un robot synthétique, ou de W. Burroughs en faux clergyman anglican. J'aimerais arriver à écrire un livre avec un seul journal, à ce que ce soit une histoire qui n'a l'air de rien, qui provienne des rubriques recomposées du journal : il y a quelque chose qui cloche, mais quoi ? Évidemment, l'idéal serait de s'introduire la nuit au marbre de France Soir, et d'opérer en douce une recomposition qui, le matin, ferait dire à la ville, un peu gênée : "Il y a quelque chose qui cloche, mais quoi ?"Mais il existe d'autre trahisons...
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