En 1974, peu de temps après la mort de Jean-Pierre Melville, réalisateur du Samourai et du Cercle rouge, l'écrivain Jean Parvulesco (qui n'a, à l'époque, publié aucun livre) publie dans la revue Matulu l'article "Jean-Pierre Melville dans le cercle rouge". Jean Parvulesco considère le réalisateur comme un activiste caché, engagé dans un combat subversif à la limite de l'occulte. Notons pour l'anecdote que dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Melville joue le rôle d'un écrivain appelé... Jean Parvulesco ! Ce dernier fréquentait effectivement plusieurs personnalités de la Nouvelle Vague à l'époque. Voici quelques extraits de l'article consacré à Jean-Pierre Melville.
|
Jean-Pierre Melville dans le rôle de Jean Parvulesco dans A bout de souffle. |
[...] Plus qu'un homme seul, Jean-Pierre Melville était un homme séparé, un activiste forcené du vide qui sépare du monde et des autres, un fanatique glacé et serein du vide qui traduit en termes d'infranchissable. le secret de sa vie tenait, tout entier, dans ce que Nietzsche appelait le pathos de la distance.
La séparation, pourtant, ni l'éloignement du monde, n'étaient, chez Jean-Pierre Melville, une forme de désertion, bien au contraire. Le monde, pour lui, il ne s'agissait pas de le fuir, mais de le changer. Car tel est l'enseignement intérieur de l'enseignement intérieur de l'engagement pris par Jean-Pierre Melville envers sa propre vie, sa relation souterraine avec ce que Rimbaud avait appelé "la vraie vie" : ne pas changer soi-même devant le monde, mais changer le monde afin qu'il se rende conforme et s'identifie au rêve occulte, à l'image lumineuse et héroïque que l'on porte au fond de soi. Comment transfigurer, comment changer le monde si, comme le dit, toujours, Rimbaud, "le monde est ailleurs" ? Aux voies dites traditionnelles, Jean-Pierre Melville avait su préférer l'action directe, la voie de l'action directe, l'action occulte d'un petit nombre de prédestinés à l'accomplissement des grandes entreprises subversives du siècle, et qui, piégés à l'intérieur du Cercle Rouge, changent, pour s'en sortir, les états du monde, le cours de l'histoire et de la vie. Et c'est aussi ce que Jean-Pierre Melville avait trouvé dans l'action politique, dans ses options subversives d'extrême droite : une confrérie, une caste de combattants de l'ombre qui s'imposent à eux-mêmes une rigueur, un dépouillement terribles, indifférents aux résultats immédiatement visibles de leur action, attentifs seulement aux exigences de leur sacrifice et à la gloire cachée de leur longue rêverie activiste sur le mystère du pouvoir absolu.
|
Jean-Pierre Melville et un chat |
[...] Le cinéma de Jean-Pierre Melville est un cinéma chiffré en profondeur, tout comme l'aura été sa propre vie. Car, chose certaine et claire, l'expérience des confrontations permanentes, de la permanente remise en question des pouvoirs de la liberté cachée et de la liberté ultime de tout pouvoir secret, expérience dans la laquelle on reconnaît le problème des rapports de force auxquels se résument tous les films noirs de Jean-Pierre Melville, est, aussi, l'expérience intérieure de tout pouvoir politique en prise directe sur la marche de l'histoire. Derrière le cinéma exaltant le mystère de solitude et de vide ardent du crime, Jean-Pierre Melville s'est employé à cacher en semi-transparence le véritable discours, l'unique tourment de sa vie.
[...] La morale intime de Jean-Pierre Melville est la morale secrète du samourai, du guerrier mystique pour qui, indifférent quant à l'issue finale de son épreuve, seul compte le combat de la lumière invisible de ses armes. Cette morale ne s'enseigne pas, son secret ni son souffle de vie ne sont transmissibles : on n'y accède que par la prédestination, ou par l’œuvre intime en soi, du "seigneur inconnu du sceptre et de l'épée".
Cette morale, c'est déjà le Bushido de la grande solitude occidentale de la fin, la solitude du tigre lâché dans la jungle de béton, dans le monde trois fois maudit du renversement final de toutes les valeurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire