dimanche 7 mars 2010

Quand Giovanni Papini était anarchiste


Dans Un Homme Fini publié en 1913, Giovanni Papini livre une autobiographie romancée qui aborde surtout sa maturation intellectuelle, son orgie cérébrale, qui passe par à peu près tous les courants philosophiques, y compris le pessimisme schopenhaurien le plus extrême comme le montre ce passage :

"Ce qui me déplaisait chez Schopenhauer était son hostilité envers le suicide. Je préparai, au contraire, comme dernière partie du grand œuvre, une proposition stoïcienne de suicide universel. [...] Sottises, enfantillages ! Et pourtant, l'idée fixe de devoir être l'apôtre de cette suprême conclusion de la vie fut pour moi, pendant un certain temps, le seul prétexte pour rester en vie."

Dans le chapitre "Rien n'est vrai, tout est permis" (un phrase attribuée à Hassan-i-Sabbah, chef de la secte des Assassins, et citée par Friedrich Nietzsche et William Burroughs), il expose son penchant pour l'anarchisme sous l'égide de Max Stirner. Ceci se passe au passage entre le 19è et le 20è siècle. En 1903, il fonde le journal Leonardo. Extraits.


Et comme dans toutes mes aventures je ne me suis jamais arrêté à mi-chemin, je ne mis pas longtemps à tirer les conséquences de cette négation de tout principe et de toute règle. Je rencontrai Max Stirner à cette époque, et il me sembla avoir trouvé enfin le seul maître dont je ne pourrais me passer. Du solipsisme cognitif je passai au solipsisme moral. Il n'y eut pas d'autre Dieu devant moi en dehors de moi. Je rêvai une égologie - je détruisis en moi les affections de la famille, les liens de la patrie, les derniers freins de l'habitude bourgeoise d'une conduite correcte. Je fus anarchiste, je me proclamai anarchiste ; et je ne vis aucune fin digne de moi hormis la libération complète de moi-même - et des autres ensuite. Car j'avais besoin pour ma liberté de la liberté d'autrui.

Je fondai avec trois amis un groupe individualiste, j'écrivis la Proclamation des Esprits Libres et nous nous saoulâmes ensemble de vin, de haschisch et de féroces absurdités.

Rien ne fut plus sacré pour moi : mêmes les tentatives et les programmes révolutionnaires et humanitaires qui me semblaient, auparavant, quelque chose d'important, s'étaient mués à mes yeux en de stupides enfantillages de croyants laïcs inexperts. C'est bien autres chose qu'il me fallait. La libération intérieure, idéale, radicale de tous les hommes et le cas échéant, ici ou là, pour préparer l'avenir, quelques barils de dynamite. Je pensais, avec les quelques amis dont je m'étais rapproché, à un coup de main pour nous emparer de la ville ; je me préparais à la révolte universelle ; j'avais envie de me sauver, de parcourir tous les pays, de coudoyer tous les peuples, de m'écœurer aux exhalaisons de l'Orient, de me perdre dans les fumées du Nord.


Et entre-temps, ne pouvant rien faire, insatisfait et excité, avide et réservé, je déversais mon dédain en aphorismes impudents et en effusions lyriques et mordantes à l'imitation de Nietzsche ; et je méditais, par haine de la philosophie et de Kant, son digne ruffian, une Critique de toute Raison - et un Crépuscule des Philosophes ; et je ressentais le besoin apostolique de libérer les autres comme je m'étais, à ce qu'il me paraissait, libéré moi-même : courageusement, par la théorie nue.

De quelle façon ? En fondant un journal. Un journal avec le peu de science qu'il fallait pour détruire l'ancien, et le beaucoup de bizarre, de cru, d'anti-idéaliste, d'exotique qu'il y avait en moi et en ceux qui m'étaient les plus proches.

2 commentaires:

Le Discerneur a dit…

Juste un petit encouragement d'un fidèle lecteur et tout nouvel inscrit :)

tomblands a dit…

Merci de votre encouragement mais je n'ai pas accès à votre blog, qui m'a l'air intéressant puisque vous y parlez notamment de Fassbinder qui est cher à mon coeur.