Joe Dante est malheureusement un des grands perdants du cinéma hollywoodien des trente dernières années. Formé à l'école Roger Corman, c'est à dire à la bonne école (perdue) de la série B et du film fauché indépendant, Joe Dante a connu un succès populaire mérité pour
Gremlins en 1984, un film de noël superbe qui introduit le personnage de Gizmo, le mogwai, la boule de poils la plus célèbre de l'histoire. Dans la tradition chinoise, le mogwai est un lutin doté de pouvoirs surnaturels. Fort de son succès, Joe Dante a réalisé une suite à
Gremlins :
Gremlins 2 - The New Batch, boudé à la fois par la critique et le public. C'est à se demander pourquoi quand on revoit le film aujourd'hui, superbe, tant dans sa réalisation que dans son propos.
Gizmo fait les gros yeux face à la crise financière.
Réalisé en 1990,
Gremlins 2 est, en plus d'un divertissement, une critique de la société. En quelque sorte, c'est
Pour qui sonne le glas des années 80 ou l'équivalent populaire et trivial de la critique des années 1980 entamée par Bret Easton Ellis dans
American Psycho. Ici, nul
courtier (quoique) mais un magnat de la presse qui dispose d'un immeuble gigantesque réunissant média, divertissement et industrie pharmaceutique : le fameux
Clamp Building. Joe Dante s'amuse à critiquer le ridicule de l'adage techniciste du "tout est possible dans le monde moderne". Les uns le diront réactionnaire, les autres le diront humaniste. Et c'est véritablement l'axe du Bien (les valeurs et les traditions) contre le Mal (le progrès inhumain) qui s'opère dans ce film fantastique.
Gizmo : le meilleur ami de tous les enfants.
Le scénario n'a pas grand intérêt : Gizmo, le mogwai, est aspergé d'eau dans un immeuble moderniste new-yorkais et reproduit les monstres néfastes que sont les gremlins. Ces gremlins se mettent à semer le trouble dans l'immeuble. Pour le meilleur et pour le pire. En réalité, les gremlins représentent la caricature du libéralisme sauvage et anthropophage de l'époque. Pour aperçu : l'immeuble
Clamp, une version
cheap de
Metropolis (de Fritz Lang), se veut ultra-moderne, mais n'est pas foutu de faire fonctionner ses portes d'entrée. Dans un souci ultra-sécuritaire, un employé peut se faire licencier pour avoir fumé pendant sa pause. Contrôlant une chaine de télévision, Clamp se permet de recaler les films d'horreur à 3h du matin et d'interdire les films en noir et blanc. On entend même cette hérésie fantasque digne d'Orwell : "Ce soir sur CCN, ne ratez pas
Casablanca, enfin colorisé et avec une fin gaie".
Le gremlin "intelligent": à cause des lunettes ?
Joe Dante se permet même de faire des référence au
Gremlins de 1984 et au réalisateur William Castle en incluant dans son film une séquence où le spectateur est pris à partie. C'est trop compliqué à décrire mais la scène (mêlant le catcheur Hulk Hogan, Joe Dante lui-même et des films nudistes des années 1960) est mémorable.
Christopher Lee dans une variation de Frankenstein.
La recherche génétique est également mise en cause. Christopher Lee, superbe en généticien fou furieux, christianisent les dérives scientifiques de l'époque, y compris l'inoculation de maladies infectieuses et le clonage. Joe Dante critique aussi l'hypocrisie et l'arrivisme d'une trentenaire carriériste frustrée et castratrice, comme notre société l'a banalisée. Enfin, Joe Dante critique l'urbanisme mégalomane accro au béton à l'acier.
Le méchant gremlin ! La société de consommation l'énerve !
Gremlins 2 est donc un film populaire éminemment critique. De fait, un film de Joe Dante est par essence beaucoup plus subversif qu'un film de Jean-Pierre Bacri. On ne peut que regretter que le divertissement populaire cinématographique ait dévié dans des puits d'inculture et de vulgarité idoines à la teen culture. Preuve de cette chute : Joe Dante est actuellement en perte de vitesse, après son échec relatif (financier pas artistique) avec Small Soldiers en 1998.
Pour finir : Gremlins 2 est un chef-d’œuvre, non seulement de la culture populaire mais du cinéma mondial.
Ci-dessous, un extrait de Gremlins 2, où Gizmo se prend pour Rambo et où le gremlin "intelligent", en émule de Goebbels, présente sa notion de la civilisation et convoque Susan Sontag et la musique de chambre.