Francis de Miomandre (1880-1959), écrivain prolixe et talentueux avait l'art de trouver des très bons titres à ses ouvrages. Ainsi, Méditations sur la femme de France (1916), Passy-Auteuil ou le vieux monsieur du square. Monologue intérieur (1928), Le Jeune homme des palaces (1929), Âmes russes 1910 (1931) ou L'Invasion du paradis (1937). Sans oublier Mon caméléon (1937), qui traite, comme son titre l'indique, du caméléon domestique de Francis de Miomandre !
Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur l'eau, tiré à 500 exemplaires, Francis de Miomandre a publié ses premiers textes dans des revues. Voici l'un d'entre eux, cet essai intitulé "La Femme dans le roman contemporain" et publié dans La Nouvelle Revue de septembre-octobre 1901.
Le roman français, depuis ses origines, eut toujours pour but secret ou avoué la glorifications de la femme. L'amour et ses péripéties en formaient les sujets favoris. Soit qu'il se resserre dans le moule psychologique comme les œuvres analytiques de Laclos ou de Benjamain Constant, soit qu'il se disperse dans l'emportement romantique de Châteaubriand ou de George Sand, il n'en court pas moins à un dénouement unique: la possession. L'auteur des Liaisons dangereuses s'en moque et ne considère cela que comme une conquête de vanité, un pari gagné. Sand s'émerveille et appelle à son aide les phrases grandioses, la poésie du désir, toute l'armée de l'illusion amoureuse, mais l'idéal cherché est toujours le même. [...]
Nul écrivain n'a pour ainsi dire, le goût de la femme. Cette indifférence est visible dans l'omission d'une foule de détails qui sont comme les accessoires du culte féminin: la toilette, l'ameublement, les caprices de modes et la foule de brimborions dont elle attife son âme et corps.
L'amour, en effet, n'est pas le goût. Il y a dans la délicate dilection que suppose ce dernier mot une série de nuances particulières, dont chacune peut correspondre à une variété amoureuse, mais non pas lui être équivalente.
Balzac, l'auteur de Béatrix (1839) qui met en scène la marquise de Rochefide,
incarnation de la femme fatale.
incarnation de la femme fatale.
Balzac fut le premier qui manifestât ce goût d'une manière spéciale. Il décrivit longuement, avec un évident plaisir, tout ce qui touchait à la femme de son temps: ses robes, ses bijoux, ses appartements, les milieu où elle évoluait. Il vanta sa bonté, sa grâce, le charme qu'elle répandait sur la société. il envisagea avec une lucide tendresse ses rapports avec ce qui était sa raison d'être et sa destination, il s'étendit sur son ascendance, ses devoirs, son éducation, ses caprices, les lois physiologiques qui la mènent. Il s'amusa même, par boutade, à dresser la liste comparative de ses honnêtes femmes et de ses coquines, donnant l'avantage du nombre aux premières. Et, même parmi les secondes, combien n'y en a-t-il pas qui se font pardonner leurs vices par l'atténuation de leur beauté ou de leurs vertus avortées ? [...]
Quand parut en France Madame Bovary, ce fut en France un scandale. Un procès retentissant eut lieu, au cours duquel la morale bourgeoise et les lois jetèrent au front de l'auteur tous les anathèmes qu'elles pouvaient proférer. Mais le reproche le plus cuisant qu'elles lui firent, celui que tous les autres sous-entendaient et qui ne fut pas prononcé, ce fut d'avoir manqué de respect à la femme. En effet, il avait battu en brèche cette conception sentimentale d'après laquelle la compagne de l'homme se dressait en déesse inaccessible et parfaite, dignes d'hommages, mystérieuse parce que fantasque et possédant tous les pouvoirs parce qu'elle avait toutes les faiblesses. Flaubert avait changé tout cela: d'après lui, c'était un être débile qui voulait faire l'ange et restait femelle, n'avait droit qu'à une pitié relative et ne recelait point d'énigme. Il en faisait un petit animal de fatalité, quelque peu au-dessous du mâle. [...]
Les Goncourt considèrent la femme comme une bête de luxe qu'on enferme dans de somptueuses volières et qu'on admire, et qu'on détaille, précieusement. Ils aiguisèrent les plus fins outils de leur description et de leur analyse pour disséquer l'oiseau joli après s'être extasié sur ses plumes. Ils eurent à un égal degré le goûts des falbalas et de la recherche psychologique. L'oeuvre de Flaubert ayant atteint de suite une valeur imprévue de généralisation, ils furent obligés, pour rester nouveaux, de devenir rares. Leur dilection se pencha sur les phénomènes anormaux, comme dans La Faustin ou très particularisés comme dans Renée Mauperin. [...] Avec les Goncourt se perd une forme de l'amour de la femme qu'on ne retrouvera que plus tard. Mais il y aura auparavant un interrègne de pessimisme. Car, tandis que les "deux frères siamois de l'écriture artiste" avaient pris à Flaubert l'indulgence et le goût de fine sensualité, Maupassant et Zola lui durent leur vision morose.
Avec Bourget, la tradition sentimentale se renoue. [...] Contre la tentative spiritualiste de Bourget une réaction se fit, presque immédiate et dont le protagoniste le plus intransigeant fut Paul Adam. Ce dernier dirigea contre le sentimentalisme d'une campagne à outrance. Selon lui, la femme est un être luxurieux et pervers à qui il convient de ne pas demander autre chose que les satisfactions de l'instinct. A peine peut-on les tolérer si elles se font les compagnes intellectuelles de l'homme. Un sexe et un cerveau, mais pas de coeur. [...] Avec Adam est bien fini le règne du sentimentalisme. Tous les romanciers présents aiment la femme, mais plus aucun ne revient aux vieilles illusions tendres.
Les uns sont purement sensuels: ils exaltent le culte des formes et l'amour de la beauté, mais ils ne vont pas plus loin que l'épiderme. Et même dans cette sensualité, mille nuances les séparent. Pierre Loti traîne son ennui et sa terreur de la mort sur les corps les plus beaux des pays les plus divers. La nostalgie et l'exotisme varient ses sensations et les idéalisent parfois, mais leurs doubles rayons s'entrecroisent sur des enveloppes plus curieuses que belles et qui abritent des âmes sommaires ou vulgaires. Pierre Louÿs veut revenir aux temps où la femme régnait nue et l'antiquité grecque est son obsession. [...]
Marlene Dietrich dans La Femme et le Pantin (1935) de Josef von Sternberg, adapté du roman de Pierre Louÿs. Une vision bien cruelle de la femme...
Catulle Mendès aussi aime la beauté grecque mais, la transportant à Paris, il lui donne un attrait spécial et pervers. Les incestes et les inversions lui sont familières et aussi le goût des oripeaux et des fards. Et tout cela forme un mélange barbare et séduisant, plus faible cependant que celui qu'agite Jean Lorrain pour en griser les héroïnes de ses sadiques inventions. La mort avec toutes ses décompositions lui agréé: il aime les fards parce qu'ils donnent une teinte macabre et tous les poisons de la volonté: l'éther, la morphine, l'opium parce qu'ils embellissent ceux qui les emploient de cet air mourant à la fois et élégant qui prélude à leur finale inertie. Soit que, duchesse ou grande courtisane, elle traîne dans des mondes pas très différents une figure d'ennui morbide, soit que, pierreuse, elle attend le mâle qu'elle va suriner, la femme, chez Jean Lorrain, chérit et attend la mort, ou reçue, ou donnée. Quant à Rachilde, qui mélange à la luxure des velléités d'une intellectuelle insexuée, elle peut, avec La Jongleuse, La Princesse des ténèbres et ses contes si remarquables, marquer le passage qui rejoint les sensuels et les cérébraux."Leslie, fumeuse d'opium" (1915-1916) du peintre Raphaël Kirchner. Une femme qui aurait esthétiquement plu à Jean Lorrain, toxicomane notoire.
Ceux-ci, par mépris, laissent la femme vouée à la volupté mais ils la haussent à leur cerveau et lui distendent l'intelligence jusqu'à en faire des égales de l'homme, et de l'homme le plus cultivé. Maurice Barrès présente Bérénice, la Petite Secousse, une fillette élevée dans un musée, à la fois nulle et sérieuse, comme une infante qui paraît rêver à la chute des Empires, et Astiné Aravian est une femme extraordinaire. Léon Daudet traîne en un triomphe luxurieux et intellectuel des jeunes filles comme Suzanne, Marianne, Jacquemine. La Flamme et l'Ombre, Claire pour qui les lois sociales sont de vieilles écorces rejetées dont elles ont dévoré, à leur profit, la substance. Remy de Gourmont tantôt monstre, dans Les Chevaux de Diomède et Le Songe d'une femme de petites féministes inconscientes et nues qui font la parade de l'amour, tantôt explique, dans Sixtine, les atermoiements et les hésitations d'une mondaine cultivée et toujours, que ce soit Fanettes, Sixtine ou Néobelle, ce sont des êtres fins, vêtus d'élégance et entourés de sourires. Péladan recouvre de brocarts et de splendeur des princesse d'Italie, chargées de luxure et d'érudition et d'un sadisme parfois enfantin.
D'autres encore, plus sérieux, ne voient en la femme qu'une compagne morale. Ils mettent la volupté à sa place d'arrière-plan et haussent la sentimentalité à sa valeur d'échange permanent: les uns s'orientent vers le réalisme comme les Margueritte qui voient la vie moyenne telle qu'elle est et ses modestes consolations et les Rosny qui y introduisent l'idée de science et dont les héroïnes sont d'une psychologie bien complexe ; les autres, comme Camille Mauclair tendent à une forme plus spiritualisée et plus abstraite qu'illumine le soleil du devoir ; tous sont d'accord sur les questions vitales de l'amour et de l'union.
Il en est que touche davantage le froissement que subit la femme dans la Société: tels, Paul Hervieu, Maurice Beaubourg et quelque peu Abel Hermant. Ce sont surtout des moralistes. Ils s'apparentent de loin à une pléiade d'esprits ironiques qui racontent les malheurs de la tribu sans descendre au milieu d'elle et dont pour cela la pitié n'est pas moindre: Willy, J. Marni, Jules Renard, Tristan Bernard, chacun dans des directions complètement divergentes.
Henry Gauthier-Villars dit Willy, amateur de femmes, mari de Colette et écrivain célèbre. Il signait parfois de son nom des livres rédigés par des nègres ; ainsi Maîtresse d'esthètes (1897) écrit par Jean de Tinan. A lire aussi: Lélie, fumeuse d'opium (1911).
Chez tous ces écrivains, malgré les théories voulues ou les cruautés inconscientes, il subsistait cette parcelle de l'amour de la femme qu'avaient les Goncourt et qui fit leur grâce, ce goût du superficiel, de l'élégance et de la fine sensualité.
Le goût qui avait empli tous les contes et toute l'existence du délicieux Théodore de Banville, éclate dans toute sa force en des oeuvres comme celle d'Anatole France. Le fin critique de notre histoire contemporaine chérit en Mme de Gromance la forme de l'impérissable volupté. Et si les autres femmes de ses livres n'atteignent point à la perfection du rêve de M. Bergeret, du moins leurs efforts pour y parvenir sont-ils touchants et témoignent-ils du désir du beau. Ce goût transparaît chez d'autres auteurs. Vanderem met en scène, en des romans qui rappellent par leur composition les contes du XVIIIe siècle (La Cendre, Les Deux rives, Charlie) des bourgeoises élégantes ou de petites nobles qui tombent avec grâce dans des fautes sans gravité, Gyp raconte allègrement les minuscules aventures mondaines de femmes qu'elle méprise mais qui sont de gentilles poupées. Abel Hermant passe avec facilité de la finesse d'Eddy toute petite et toute pure au sérieux de l'héroïne de Serge et à la grâce attendire de l'aïeule des Souvenirs. Ce goût imprègne les savoureux romans de René Boylesve où l'amour provincial revêt des formes si inattendues et si suaves: Le Médecin des Dames de Néans, ce conte merveilleux et La Becquée, et Mlle Cloque, et Sainte-Marie des fleurs, et Le Parfum des Îles Borromées ; il dirige la vie et les oeuvres du regretté Jean de Tinan dont Ninon de Lenclos, Blanche-Marcelle, Jane-la-Pâle, Geneviève et Aimienne sont des types si charmants de coquetterie, d'inconscience et de vice léger.
La danseuse Cléo de Mérode (1881-1966) photographiée par Nadar. Ses charmes seront célébrés par Jean de Tinan dans Penses-tu réussir !
Enfin, il donne son aboutissement complet à la fois et exclusif dans les rares ouvrages de Marcel Boulenger et de Marcel Proust. On ne peut aller plus loin que dans La Femme baroque et dans Les Plaisirs et les Jours dans la dilection de la femme. Ils aiment tout d'elle - et sans passion - depuis ses goûts jusqu'à sa voix, et la forme menue des seins des jeunes filles ; ils les aiment dans le passé, reines mortes qui furent gracieuses. Ils en parlent comme d'un paradis perpétuel et des délices de la terre. La galanterie la plus stylisée orenemente leurs propos et leurs gestes sont un hommage continu et courbé de gratitude. Mais ils ne sont pas amoureux. Goncourt en eux eût aimé des fils intellectuels, mais si raffinés et si complexes qu'ils closent sa descendance et marquent comme l'extrême produit d'une race, de la race des amateurs de la femme. La jeune fille du Page est un type de beauté bizarre et complexe ; on en aime à la fois la rare poésie e l'exactitude. Et personne n'a comme elle le sens de la mesure dans la plus sincère passion. Quant à Mme de Breyves et à ses sœurs mélancoliques, elles ont l'extrême atteint d'une tendresse pliante, pensive et raffinée.
Ornella Muti dans le rôle d'Odette de Crécy dans Un Amour de Swann (1984) de Volker Schlöndorff. Les seins fantastiques d'Odette de Crécy ne sont pas étrangers à la passion de Swann.
Tout compte fait, si l'on écarte de la question les rares auteurs qui aiment en la femme la compagne égale et l'amie avec des hanches, il reste évident que, depuis Flaubert, une désillusion a passé. L'idole est tombée de son piédestal et pour prix de sa déchéance acquit la poignée de main et le frôlement de la foule. Et de plus en plus les écrivains contemporains, sceptiques et artistes, tendent à ne voir en elle que l'être qui fait de jolis gestes et la parodie de l'Amour, qui peut devenir un camarade mais reste toujours frivole et dont tous les sentiments, toutes les pensées, tous les caprices se ramènent, comme au gré des modes leurs robes, à la toilettes et à l'artifice.
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