Dans son volume annuel de 1897, le Bulletin de l'Académie du Var a publié deux textes d'un dénommé H. Rey : une diatribe poétique contre l'absinthe et un texte en vers sur les moutons de Panurge inspiré de Rabelais. La diatribe poétique consiste en une succession de 17 quatrains en octosyllabes, aux rimes souvent convenues et à l'exclamation facile. Rien de bien transcendant. L'anecdote la plus intéressante est la dédicace : à mon fils. D'où cette question : ce poème est-il un avertissement ou un reproche ? Un universitaire se penchera peut-être un jour sur cette interrogation de premier ordre
L'ABSINTHE...................................A Mon fils.
Tu le vois, ce liquide vert,
Qu'assis près d'une table ronde,
Des gens boivent, le nez en l'air,
En regardant passer le monde !
Ce liquide, c'est un poison,
Liqueur odieuse et funeste,
Un philtre impur !... une boisson
Qu'il faudra fuir comme la peste !
Son nom, mon fils, le connais-tu,
Son nom abhorré ? - C'est l'ABSINTHE !
Un homme est à jamais perdu,
Lorsqu'il est pris dans son étreinte !
L'Apéritif !... deux fois par jour,
C'est le prétexte à l'eau verdâtre !...
Bientôt tout moment est bon pour
La Purée hideuse et saumâtre !
L'homme d'abord perd l'appétit ;
A table, son assiette est vide ;
Rien ne lui plaît, ne lui sourit
Que la Verte, au reflet livide !
Mais le Poison fait son chemin ;
Ses doigts tremblent et, malhabile,
Il ne peut d'une seule main
Soulever la coupe fragile.
Alors, pour boire, il s'est assis
Et, des deux mains, jusqu'à la bouche,
Hésitant, craintif, indécis
Il conduit le verre d'eau louche.
L'infortuné fait peine à voir !...
Les enfants en font leur risée !
Il rit comme eux, mais sans savoir ;
Absente est déjà sa pensée !
C'est, - à trente ans, - c'est un vieillard
Hébété, chancelant, sordide,
Impuissant !... et dont le regard
Se perd, sinistre, dans le vide !
Sinistre !... car, dans ce cerveau
Germe un levain de maladie :
C'est que l'Eau verte est aussi l'eau
Du suicide et de la folie !
Des visions hantent son sommeil,
Ses nuits sont pleines de fantômes ;
Bientôt, même après son réveil,
Il est poursuivi par des gnômes,
Des animaux, des chiens, un loup,
Toute une meute furieuse !...
- Prenez garde, cet homme est fou !
Et sa folie est dangereuse !
L'incessante hallucination
Conduit à l'homicide, au crime !
Pour s'affranchir de l'obsession
Du noir cauchemar qu'il opprime,
Le malheureux frappe au hasard !...
Traqué par la meute hurlante,
Terrible, haletant, l'œil hagard,
Objet d'horreur et d'épouvante,
Il frappe, il tue !... Ami, parent,
Devant ce fou, chacun se sauve...
Spectacle ignoble, écœurant !
L'homme devenu bête fauve !
Il s'épuise en cris superflus,
Se débat, rugit, se démène
Et tombe enfin, n'en pouvant plus !...
Ramassez cette loque humaine !
C'est un de plus pour Charenton !...
Oh ! pauvre intelligence éteinte !
inscrivez sur le cabanon :
Ci-gît... victime de l'Absinthe !
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