Du 7 juin au 23 juillet 2011, la Maison de culture du Japon à Paris organise une rétrospective sur la maison de production Art Theatre Guild of Japan (ATG). Une occasion à ne pas manquer puisque toutes les projections sont gratuites. À ses débuts, l’ATG fonctionna comme une structure de distribution à vocation européenne et favorisa la diffusion de films nationaux classés non commerciaux. Refuge des mal-aimés des grands studios (Nagisa Ôshima, Shôhei Imamura, Kijû Yoshida, Masahiro Shinoda), hôte bienveillant de talents hors normes (Toshio Matsumoto, Shûji Terayama, Hiroshi Teshigara) et d’indépendants irréductibles (Shindô Kaneto, Susumu Hani, Akio Jissôji, Kazuo Kuroki), le système ATG (économie de moyen, partage des risques avec les réalisateurs-producteurs, primauté de l’art) fut un moment unique dans l’histoire du cinéma mondial.
Le critique Go Hirasawa, professeur d'histoire du cinéma à l'Université Meiji de Tokyo et co-auteur du récent livre Koji Wakamatsu, cinéaste de la révolte, revient sur l'histoire de l'ATG.
Comment êtes-vous devenu critique de cinéma et organisateur de rétrospectives du cinéma japonais d'après-guerre ?
A la fin des années 1990, j'étais étudiant en histoire du cinéma, et m'intéressais particulièrement au cinéma des années 60. Mon mémoire de fin d'études était consacré à Masao Adachi et Koji Wakamatsu. Grâce à ce mémoire, j'ai rencontré Masao Adachi et Koji Wakamatsu ainsi que Masao Matsuda (cinéaste, scénariste, acteur et activiste d'extrême-gauche). J'hésitais à continuer mes études mais lorsque j'ai terminé mon mémoire, Masao Adachi s'est fait expulsé du Liban vers le Japon en 2000, j'ai décidé de projeter ses films et d'éditer un livre sur lui. A l'époque, je ne savais pas comment organiser des projections de films et éditer des livres, j'ai tout appris sur le terrain. C'est ainsi que je suis entré dans le milieu du cinéma, en me spécialisant dans les films expérimentaux et politiques des années 1960. J'ai rencontré Roland Domenig et nous avons organisé à Vienne un premier cycle dédié à l'ATG. Nous avons été aidés par Inuhiko Yomota qui été mon professeur de faculté et qui bénéficie d'un bon réseau international dans le milieu du cinéma. Avec Inuhiko Yomota et d'autres critiques de cinéma, nous avons continué à réfléchir sur le cinéma des années 60-70, ce qui m'a permis plus tard d'enseigner à mon tour à l'Université. Depuis dix ans, mon temps se passe donc à monter des rétrospectives et éditer des livres de cinéma.
Il est mort après la guerre de Nagisa Oshima (1970).
Malgré la diversité des cinéastes qui ont réalisé des films grâce à l'ATG, peut-on trouver un dénominateur commun du style ATG ?
L'ATG a vu le jour en 1961 dans le but de promouvoir des films étrangers Art et Essai anti-commerciaux et de les distribuer au Japon. En 1968, l'ATG a décidé de produire ses propres films. On retrouve alors des réalisateurs qui ont déjà sorti des films dans des studios prestigieux comme Shochiku (Nagisa Oshima, Kiju Yoshida, Shinoda Masahiro) et qui rêvaient de réaliser des films qui n'avaient aucune chance de passer dans un grand studio. Même si ces réalisateurs venaient d'horizons différents, on retrouve la même envie qui est celle de réaliser des films anti-commerciaux. Bien sûr, les conceptions personnelles des réalisateurs sur les buts de l'ATG divergeaient. Par exemple, l'idée de Kiju Yoshida était de réaliser un film de qualité avec un très petit budget. Toshio Matsumoto et Shûji Terayama ne venaient pas du milieu du cinéma : Matsumoto venait des documentaires et des films éducatifs ; Terayama du théâtre. Le fait de se retrouver leur donnait une opportunité énorme. Le point commun de tout ce groupe était celui de créer une Nouvelle Vague.
Marginaux à l'époque, les films de l'ATG bénéficiaient-ils malgré tout d'une bonne distribution ?
En 1961, l'ATG possédait 10 salles de cinéma dans tout le Japon, plus la décennie avançait, moins l'ATG possédait de salles. Économiquement, ça ne flamboyait pas mais le contexte politique et social de l'époque poussaient le public à s'intéresser à un cinéma expérimental, donc l'ATG s'en sortait quand même. Le tournant a été la période 1972-74 où l'économie du cinéma Art et Essai a commencé à s'effondrer. L'ATG a donc rencontré des difficultés. A la fin des années 70, l'ATG s'est dirigé vers le cinéma sur 8 mm, avec des films de jeunesse tournés par des réalisateurs tout juste sortis de l'Université, dans le but de trouver un nouveau public.
Pour simplifier, on peut diviser l'histoire de l'ATG en quatre périodes : 1961-1968 : la distribution ; 1968-1974 : la production ; 1974-1977 : l'appel à de grands noms comme Shohei Imamura ou Kon Ichikawa ; enfin 1978-1984 : la volonté de changer radicalement de direction avec des films de jeunesse.
En 1972, L'Extase des anges de Koji Wakamatsu a provoqué un scandale. Que s'est-il passé ?
Même si l'ATG avait tendance à faire venir des artistes différents de TV ou du théâtre, Koji Wakamatsu était le premier à venir du cinéma érotique (pinku eiga). Il avait tendance à mettre en scène des sujets politiques provocateurs. A partir ds années 70, les mouvements politiques commençaient à s'affaiblir. Avec ce film, Koji Wakamatsu a essayé de provoquer et de ranimer les contestations des années 1968-69. Mais à cette époque, un autre mouvement d'extrême-gauche violent porté par l'Armée Rouge Unifiée commençait à émerger et à attaquer des camps militaires américains afin de voler des armes et commettre des actions terroristes urbaines. Avant la sortie d'Extase des anges en salles, une bombe a été posée dans le même poste de police de Shinjuku que celui qui explose dans le film, ce qui a crée un lien direct entre l'actualité et le cinéma. Cette utilisation de l'actualité a été critiquée par ceux qui estimaient que cela incitait au terrorisme. Également à la même période, on a découvert que des membres de l'Armée Rouge Unifiée s'étaient entretué au cours d'un entrainement militaire. Les cinq derniers membres vivants s'étaient réfugiés dans un chalet d'Asama en prenant la propriétaire en otage. Encerclés par la police, ils ont finalement étaient arrêtés au bout de neuf jours [ndla, Wakamatsu est revenu en détails sur ces événements tragiques en 2008 dans son film United Red Army]. Tous ces faits sordides ont été médiatisés pendant la projection d'Extase des anges, ce qui a décidé plusieurs salles de cinéma à refuser de projeter le film. Malgré tout, plusieurs personnes ont soutenu le film au nom de la liberté d'expression.
Que reste-t-il de l'esprit de l'ATG dans le cinéma japonais actuel ?
Pour faire simple, le cinéma japonais actuel n'existerait pas sans l'ATG, même si ce n'est pas une influence partagée et revendiquée par les réalisateurs ou producteurs d'aujourd'hui. Jusqu'au début des années 60, devenir un réalisateur revenait à signer un CDI chez un grand studio. Il y avait quelques mouvements de cinéma underground mais ces films ne passaient pas dans les salles de cinéma grand public. L'ATG a établit un système de distribution qui a donné un élan aux réalisateurs qui voulaient créer des films moins commerciaux. A l'ATG, la règle générale était que pour un budget de 80.000 euros, le réalisateur et l'ATG versaient chacun 40.000 euros. C'est toujours ce système qui perdure au Japon : un comité de réalisation réunit de l'argent pour tourner le film et un studio se contente de financer la distribution. D'une certaine façon, on peut dire que tous les films japonais aujourd'hui sont indépendants. Jusqu'à la naissance de l'ATG, les réalisateurs recevaient un salaire, c'était inimaginable de réaliser un grand film avec très peu de budget.
Que pensez-vous de ces trois réalisateurs japonais reconnus internationalement : Takashi Miike, Tetsuya Nakashima et Sono Sion ?
Les premiers films de Takashi Miike sont très intéressants, ce sont des œuvres expérimentales réalisées avec très peu de budget, mais aujourd'hui, ses films grand budget ne m'intéressent pas vraiment. De Tetsuya Nakashima, seul Kamikaze Girls m'intéresse. Dans le cas de Sono Sion, je m'intéresse surtout à ses premiers films tournés en 8 mm, et à Love Exposure, sorti en 2008. Parmi les trois réalisateurs cités, Sono Sion est celui qui est le plus dans la lignée de l'ATG. Mais je m'interdis d'analyser le cinéma contemporain. Mon intérêt est d'analyser ce qui s'est passé autrefois pour mettre en lumière le cinéma contemporain. Il y a bien sûr des œuvres que j'apprécie, mais je préfère garder une certaine distance.
PS : remerciements à Aya Soejima pour la traduction.
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