En 1933, Jean de Boschère (1978-1953), peintre, dessinateur, poète et romancier publie Satan l'Obscur, récit autobiographique grave mêlant érotisme, mystique et décadence. L'écriture de Boschère, fin esthète de l'esprit perdu et fantasmé de 1900, a le luxe et la préciosité des palais florentins et des ouvrages illustrés par Aubrey Beardsley. Échappant à la grossièreté, aux mensonges et à la vie socialisée de son époque, il grave ses fièvres et ses folies dans le corps déchu de la poésie.
Jean de Boschère fréquenta les personnes les plus importantes de la première moitié du 20è siècle : André Suarès, Antonin Artaud, Ezra Pound, T.S. Eliot, Aldous Huxley, James Joyce, Milosz, René Daumal, Balthus, Jacques Audiberti ou Joë Bousquet.
Dans Satan l'Obscur, Jean de Boschère se remémore sa vie entre 1916 et 1922, lorsqu'il vivait une double liaison amoureuse avec Anne Vera Hamilton et sa fille Selina. Dans le récit, Anne Vera Hamilton est Douce ; Selina, Fryne ; Jean de Boschère, Pierre. Souffrant de la froideur de sa fille, Douce demande à Pierre de faire de Fryne une femme. Alors que Fryne tombe amoureuse de Pierre, Douce succombe peu à peu d'épilepsie. Dans l'extrait suivant, Pierre assiste pour la première fois à une attaque épileptique de Douce.
Sous les rayons d'une ampoule électrique habillée de jaune, Douce étendue semblait plus mauve encore que pendant ces derniers jours. Sa respiration lassée l'obligeait à tenir ses lèvres écartées. Malgré sa beauté intacte, ses traits, les lignes de son corps, la couleur de son teint portaient une marque incompréhensible, comme un duvet durci, venu d'un autre monde, un voile de terrifiant mystère, un sceau ténébreux que Pierre ne savait si lui seul l'y avait imprimé, ou s'il s'y était dessiné par la "fatalité" de sa vie exaltée, ou par les souffrances que lui imposait l'indifférence de sa fille. Ce sceau dont il était impossible de nier l'existence, renforça la colère toujours présente de Pierre, comme les preuves de son crime que l'on étale devant le coupable l'excitent aux blasphèmes.
Alors succédèrent à de folles vibrations de volupté dans les larmes, des féroces attaques verbales chaque fois résolues en coït, en nouvelles caresses de Douce sur son propre corps. Elle semblait chercher dans celles-ci, sinon la mort, la lassitude céleste qui l'étourdirait. Jusqu'à cet instant, Pierre n'avait pas soupçonné qu'elle pût brûler d'une telle fièvre. Pendant ses spasmes, elle gémissait d'une gorge creuse, rendant des sons exotiques, sortant d'un enfer inconcevable.
Sans doute, leurs nerfs tordus avaient cédé dans cette folie. Pourtant, entre une caresse et une fusée de reproches infernaux, Pierre s'apercevait encore de sa férocité, mais il ne pouvait vaincre ses rebondissements atroces, elle l'habitait comme une pensée de délire nocturne. Douce avait aussi abandonné le monde réel, elle semblait attendre un événement, comme elle le disait souvent après ses nuits de cauchemars.
- There is something waiting for us, round the corner.
Cet événement auquel j'ai plusieurs fois fait allusion dans ce récit, arriva quand ils furent tous deux réduits à l'état de loques délirantes, gémissantes, vociférantes.
L'immobilité qui l'avait brusquement saisie, fait croire à Pierre qu'elle venait de mourir. Son masque était du violet affreux, irrégulier qui teinte les ecchymoses ; dans sa bouche demeurée ouverte une écume sombre ne cessait de bouillir, seul mouvement sauf un curieux redressement saccadé des cheveux courts. Ses yeux, ses beaux yeux bleus !... ouverts, étaient absolument vides de regards, des trous percés dans une cloison opposée à la nuit fermée ; les paupières distendues comme les lèvres, semblaient dessiner le même rictus démoniaque qu'elles.
Puis le fantôme se dressa, que je n'avais encore qu'entrevu avec terreur, et exhala le cri de l'épileptique que l'on ne peut oublier jamais après l'avoir une seule fois entendu.
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