Osugi Sakae (nom : Osugi ; prénom : Sakae) est un anarchiste japonais exécuté par la police militaire en septembre 1923, quelques semaines après le tremblement de terre du Kanto (lire sa biographie ici). Surveillé de longue date par la police et familier des séjours en prison, Osugi voulait propager l'anarchie à travers le Japon pour en finir avec l'Empire. La police militaire, effrayée à l'idée que le récent tremblement de terre et le désordre ambiant favorisent une révolte sociale et politique, décida d'assassiner Osugi ainsi que sa maîtresse Noe Ito (une militante féministe) et son neveu âgé de 6 ans.
En 1969, Kiju Yoshida évoque la vie d'Ogusi dans Eros + Massacre, un film de 200 minutes de toute beauté. Le film de Yoshida se concentre essentiellement sur la relation qu'Ogusi entretenait avec les femmes puisque, en plus d'être marié, il avait deux maîtresses, les trois femmes étant toutes au courant de la situation. Ogusi était un apôtre de l'amour libre. Le film de Yoshida met notamment en exergue la tentative d'assassinat d'Ichiko Kamichika à l'encontre de l'anarchiste, en 1916. Ichiko Kamichika étant la première maîtresse d'Ogusi, une maîtresse jalouse de sa rivale Noe Ito.
Outre des traductions des livres de Kropotkine et autres théoriciens de l'anarchie, Osugi est l'auteur d'une Autobiographie publiée en 1919 où il revient sur son enfance, ses années passées dans un collège militaire, ses études en langues étrangères, sa découverte du socialisme et ses séjours en prisons. Son autobiographie n'a jamais été traduite en français.
Ci-dessous, une traduction personnelle (de l'anglais) d'un passage où Osugi délaisse la religion pour le socialisme à l'époque de la guerre entre le Japon et la Russie en 1904.
Ci-dessous, une traduction personnelle (de l'anglais) d'un passage où Osugi délaisse la religion pour le socialisme à l'époque de la guerre entre le Japon et la Russie en 1904.
Kotoku, Sakai, Nishikawa Kojiro et Ishikawa Sanshiro [des militants socialistes] faisaient partie de la Commoners Society [littéralement, "société des roturiers"]. Des quatre, Ishikawa était le seul à ne pas mépriser la religion. Mais d’autres personnes solidaires de la Commoners Society étaient, comme Ishikawa, de fervents chrétiens : ainsi Abe Isoo et Kinoshita Yoko. Surtout, la plupart des jeunes sympathisants étaient chrétiens. Après tout, les idées chrétiennes étaient les plus progressistes du cénacle intellectuel de l’époque. Ou, du moins, la chrétienté contenait en son sein de nombreux textes propres à susciter la révolte contre la loyauté et le patriotisme, alors dominants.
Kotoku et Sakai se moquaient de façon méprisante et très critique de la religion. Ils abordaient fréquemment des sujets religieux lors des réunions. Néanmoins, Kotoku et Sakai acceptaient tous deux la résolution du Parti social démocrate allemand de considérer la religion comme une pratique individuelle privée, et, à ce titre, ils n’empêchaient pas les pratiques religieuses des autres camarades.
Ishikawa était mon supérieur à l’église de Hongo. Pourtant, à l’époque, il semblait perdre tout intérêt pour l’église et cessa bientôt d’y aller. Lorsque j’ai commencé à fréquenter la Commoners Society, je me suis laissé influencé par lui et suis devenu septique à l’encontre des croyants et de la religion en elle-même. Puis, la guerre entre la Russie et le Japon m’a définitivement détourné de la religion.
Comme Ebina Danjo l’enseignait, j’avais cru que la religion développait un cosmopolitisme qui transcendait les frontières nationales et un libertariananisme qui ne soumettait à aucune autorité temporelle, comme me l'avait fait penser le point de vue de Tolstoï sur la religion, alors en vogue dans les cercles intellectuels. En effet, après avoir lu La Vie du Christ d’Ebina Danjo et La Vie de Bouddha, écrite par un spécialiste du bouddhisme, je pensais que Tolstoï avait raison : la religion primitive, c’est-à-dire la vraie religion, visait les mêmes buts que le mouvement communiste qui essaie d’échapper à l’insécurité de la société, insécurité issue du fossé entre les riches et les pauvres.
Mais pendant la guerre entre la Russie et le Japon, l’attitude individuelle des chrétiens, surtout celle d’Ebina, en qui je croyais beaucoup, m’a fait perdre la foi. La chrétienté d’Ebina n’était qu’un nationalisme déguisé. Il organisait des prières pour la victoire japonaise. Il entonnait des hymnes semblables aux chants militaires. Il prononçait des sermons sur la loyauté et le patriotisme et il citait les paroles du Christ en les sortant de leur contexte, comme « je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée » (Matt. 10:43).
Tout ça m’a profondément dégoûté. Après m’être disputé plusieurs fois avec Ebina et Kato Yokushi, le traducteur de plusieurs œuvres de Tolstoï, j’ai tourné le dos à la religion une fois pour toutes. A la même époque, je me suis aussi mis à douter du principe de non résistance, le « tends l’autre joue » prôné par la religion et que j’avais inconsciemment assimilé. Dès lors, je pouvais embrasser le socialisme et la lutte des classes.
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