vendredi 21 septembre 2012

Ezra Pound contre le système monétaire pourri

Dans un texte "Saluer Ezra Pound" et publié dans le recueil Ouverture de la chasse (ce titre !), Dominique de Roux, un des écrivains le plus doué de sa génération, prend la défense de l'auteur des Cantos. On le sait, après 1945, Ezra Pound fut interné treize ans dans un hôpital psychiatrique. L'homme était trop dangereux. Il avait violemment critiqué le gouvernement américain lors de la Seconde guerre mondiale, rejoignant également la cause fasciste. On peut lire ses diatribes anti-américaines dans Ezra Pound Speaking: Radio Speeches of World War II, recueil de ses allocutions radiophoniques pour Radio-Rome. Dès lors, comme Louis-Ferdinand Céline, Ezra Pound fut voué aux gémonies. Un infréquentable pour les éternels donneurs de leçons moralisateurs. En France, le poète pouvait compter sur le soutien indéfectible de Dominique de Roux et Jean-Edern Hallier. Voici un extrait du texte de Dominique de Roux.


Les petites têtes de Flore et du Drug n'admettent pas que la si belle quiétude de leur médiocrité ne vienne à se trouver ainsi troublée par la présence de quelqu'un comme Ezra Pound, par qui la poésie est.

Quoi de plus insupportable à l'imposture que la venue de la vérité, ces temps brûlants où la vérité est de passage, vivante, impitoyable, belle.

Dans le cauchemar climatisé où s'enflent périodiquement et se dégonflent les fortes structures du Paris dans le vent, quoi de plus insupportable, alors, que la simple présence là de l'auteur à la fois halluciné et si lucide des Cantos Pisans ?

Alors et pur parler comme Lénine, que faire ? Comme ils ne faire qu'une seule chose, faire ce qu'ils font toujours. Attaques sournoises et stratégie oblique, déplacement de la question vers des zones de l'actualité qu'ils disent subalternes : misère de la misère de ceux qui, en prenant l'ombre pour la proie, se figurent participer au festin de la Grande Chasse mais ne font que se convier indéfiniment entre eux à un pitoyable festin d'ombres.

N'osant quand même plus mettre en cause l’œuvre d'Ezra Pound, on remet sur le tapis l'équivoque de ce qu'on avait pu appeler son fascisme.

De cette équivoque, parlons-en, comme je l'ai déjà fait dans l'Arche de juin 1966.

Ezra Pound lors de son arrestation par les forces américaines.

Il n'y a pas de littérature sans la fascination de chose unique, sans le vertige d'une seule attention. A défaut de l'homme, le poète veut souvent rendre le monde meilleur, et il y a donc la question des impôts trop lourd, une classe d'exploiteurs incompatible avec le principe de l'égalité des droits, en bref la dépravation subversive de l'économie. Il y eut aussi les grandes technologies de l'abjection, si bien mises au point par Staline et Hitler, ce double visage obscur d'une même tentative innommable : "lancer deux mensonges d'un coup, pour que l'on se demande lequel est la vérité". Enfin comme l'efficacité se teintait ces derniers temps d'indécences militaires, il était logique, aussi, qu'avec son tempérament de paroxysme et sa terrible perception poétique, Ezra Pound, à partir de Jefferson, John Adams, L'Histoire des Crimes Financiers d'Alexandre del Mar, s'attaquât, au capital, à ces "usuriers merdeux", etc.

Donc, du crédit social à ses assauts contre la banque hollandaise, citant Lénine de L'Impérialisme, Phase ultime du Capitalisme, Pound, violent dans son langage parce qu'habité par la poésie absolue, alla jusqu'au fascisme, qu'il traversa comme on traverse les cauchemars ambigus de l'aube. Englué provincialement à Rapallo et plus encore dans son interprétation économique de l'histoire, il apprit qu'il était en train de se perdre par haine théologale de l'Usure. Reste qu'on entendit sa voix à Radio-Rome traiter Roosevelt de "ventre de porc", annoncer que "deux millions de troupes de choc tartares fouleront les trottoirs de Manhattan, le Centre économique", comparer efficacement d'ailleurs, Jefferson à Mussolini, faire l'éloge de Joyce et de Cummings, lire le Canto XLV "With Usuria" et achever un portrait de Rabelais. Car son idée fixe, sa fascination et sa suprême aversion concernaient le "système monétaire pourri" aux mains des banquiers de New York Stock-Exchange.

Lire également :
La rencontre Pound / Pasolini à Venise en 1967
- Aphorismes de Dominique de Roux
- Dominique de Roux par Jean Parvulesco 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Puisque vous semblez apprécier l'oeuvre d'Ezra Pound, voici un lien vers un de ses essais les plus célèbres - Le Travail et l'Usure - dénonçant les mécanismes de l'usure et du prêt à intérêt :

https://mon-partage.fr/f/FxninnZI/

Cordialement,
Lynx