dimanche 29 juillet 2012

Sono Sion - Himizu (2011)


Alors que Guilty of Romance est le premier film de Sono Sion a être distribué en France (depuis le 27 juillet), Himizu, primé au festival du film de Venise en septembre 2011 et sorti en salles au Japon en début d'année, est disponible depuis quelques jours sur les sites consacrés au cinéma asiatique... avant une éventuelle sortie en France, qui sait ? Depuis l'excellent Love Exposure (2008), Sono Sion a gagné en notoriété et ses films suscitent de plus en plus d'intérêt - comme Cold Fish (2010), Guilty of Romance (2011) et, justement, Himizu.

Sumida, Keiko et leurs amis réfugiés.
Sumida au milieu des décombres.
Himizu est une adaptation d'un manga de Minoru Furuya, partiellement lisible ici. Sumida, 14 ans, vit avec sa mère (vaguement prostituée) dans une maison délabrée près d’un lac où il loue des bateaux. Son père a quitté le foyer et, quand sa mère part avec son nouvel amant, Sumida se retrouve seul. Il doit alors subvenir à ses propres besoins et abandonner l'école. Un malheur n'arrivant jamais seul, ces événements ont lieu juste après le tsunami qui a dévasté une partie du Japon en mars 2011. Sumida est donc entouré par quatre personnes sans domicile - qui ont tout perdu à cause du tsunami - et vivent dans des tentes à côté du lac. Ces personnes vont tout de même se révéler d'une grand aide pour Sumida, tout comme Keiko, une camarade de classe, amoureuse de lui.

Sumida version cinéma et version manga.

L'adaptation de Sono Sion est encore plus noire et dépressive que le manga, peu distrayant à l'origine. C'est de loin le film le plus noir de Sono Sion jusqu'à présent. Si la trame du manga est reprise dans le film, Sono Sion y a apporté plusieurs changements. Tout d'abord, le Japon post-tsunami. Immédiatement après le raz-de-marée qui a causé la mort de près de 20.000 personnes, Sono Sion a modifié son script pour y inscrire et a littéralement tourné au milieu des débris et des villes sinistrées. Le film est d'ailleurs compris entre deux travellings sur le paysage désolé nippon. Ensuite, Sono Sion n'a pas gardé tous les personnages du manga. Il a ainsi supprimé des amis de Sumida, dont un auteur de manga, mais a ajouté les réfugiés vivant dans des tentes au bord du lac. Il a également fait de Yoruno Chozo, l'ami de collège de Sumida, un homme âgé qui a perdu tous ses biens depuis le tsunami. Enfin, Sono Sion a concentré l'action sur le personnage de Sumida et sa crise existentielle  tandis que le manga s'attarde plus sur des personnages secondaires.

Un peu de couleurs pour changer de la boue.
Un drapeau nazi s'est invité sur le plateau de tournage de Himizu.
Brève apparition de Yoshitaka Yuriko six ans après le Testament de Noriko.

Si la distribution du film met en avant deux jeunes acteurs débutants (dans les rôles de Sumida et Keiko), on retrouve des acteurs déjà présents dans plusieurs films de Sono Sion, notamment Cold Fish. A noter l'apparition de Yoshitaka Yuriko (actrice dans le Testament de Noriko en 2005) et de Takahiro Nishijima (le personnage principal de Love Exposure). Autre élément qui prouve que l'on regarde un film de Sono Sion : l'usage récurrent de la musique classique (le "Requiem" de Mozart et l'"Adagio for strings" de Samuel Barber. Quand sono Sion choisit un thème musical, il n'hésite pas à l'employer à la moindre scène dramatique. Et ces scènes sont légion dans Himizu ! Après la musique, la littérature. Si Guilty of Romance (clin d’œil aux Crimes de l'amour du marquis de Sade) tourne autour d'un livre de Franz Kafka, Himizu se développe autour de la "Ballade des menus propos" de François Villon. Un poème sur la connaissance de soi que récitent Sumida et Keiko :
Je connais bien mouches en lait,
Je connais à la robe l'homme,
Je connais le beau temps du laid,
Je connais au pommier la pomme,
Je connais l'arbre à voir la gomme,
Je connais quand tout est de même,
Je connais qui besogne ou chôme,
Je connais tout, fors que moi-même.
Lors d'un entretien en 2010, Sono Sion avait en effet parlé de son admiration pour la littérature française dont... François Villon !

Sumida et Keiko. La nuit.

Au final, Himizu s'avère être un seishun eiga [film sur la jeunesse] post-Fukushima violent et dépressif. D'où l'omniprésence des décombres, des détritus, de la boue, et la difficile libération de la parole des personnages. D'où les répétitions et les ressassements des mêmes paroles, comme un mantra. Sono Sion n'était jamais allé aussi loin dans son thème de la destruction de la famille ou de toute autorité. Himizu est un film radical sur la faillite d'une société : les parents n'élèvent plus leurs enfants, l'école n'est pas nécessaire, même l'amour n'a plus de sens. Pendant un temps, seul le meurtre est envisagé comme la seule façon de servir la société.

Le cri final.

 Certains trouveront Himizu excessif et trop "criard" mais depuis Suicide Club en 2001, Sono Sion s'avère être justement le cinéaste de l'excès par excellence : du drame familial (le Testament de Noriko) au gore (Cold Fish), en passant par l'onirisme (Into a Dream), le grotesque (Strange Circus) et l'amour fou (Love Exposure). Le nouveau film de Sono Sion s'appelle Land of Hope... on peut donc s'attendre à un film moins sombre.

2 commentaires:

David T a dit…

Espérons que "Guilty of Romance" ne soit que le premier de nombreux films de Sono Sion à sortir en salles en France...

tomblands a dit…

@ David T
Oui, espérons ! Une rétrospective intégrale pourrait déjà avoir lieu, vu la filmographie de Sono Sion.