mardi 31 juillet 2012

I Come with the Rain et le symbolisme de la croix

En 2009, Trần Anh Hùng a sorti son quatrième long-métrage : I Come with the Rain. Un thriller méditatif sous influence mystique, filmé en Indonésie et à Hong-Kong. On y trouve Josh Hartnett, Tran Nu Yên-Khê (femme et muse du réalisateur) et Lee Byung-hun, excellent en mafieux amoureux et ultra-violent, et déjà repéré dans Bittersweet Life et le Bon, la Brute et le Cinglé de Kim Jee-woon.

Visuellement époustouflant (Hong-Kong filmée la nuit, tout en néons) et porté sur le mysticisme (un des personnages, thaumaturge, s'identifie au Christ), le film montre à plusieurs reprises le signe de la croix. Très impressionnant quand ce sont des effets visuels liés à l'architecture qui "impriment" la croix. Les voici en images :


lundi 30 juillet 2012

Gyu Sang - The Story of a Blooming Flower (1992)

Ce film de Corée du Nord s'inspire d'une histoire vraie. En 1988, à l'occasion du 42ème anniversaire de Kim Jong-il, l'horticulteur japonais Kamo Mototeru offre au fils du Juche Kim Il-sung une nouvelle variété de fleur appelée Kimjungilia. En 1965, le président indonésien avait déjà offert à Kim Il-sung une variété de fleur appelée kimilsungia. The Story of a Blooming Flower (꽃에 깃든 사연 en coréen), entièrement visible ici, s'inspire de cet événement politico-floral pour glorifier l'idéologie du Juche, Kim Il-sung et Kim Jong-il.

Shimozawa et la kimjongilia.

The Story of a Blooming Flower a la particularité de mettre en scène des protagonistes étrangers vivant au Japon alors que le cinéma nord-coréen a plutôt l'habitude de s'attacher aux citoyens de la République populaire démocratique de Corée. Autre particularité : le film, d'une durée de 90 minutes (soit 20 minutes de plus que beaucoup de productions coréennes), est riche en rebondissements et en sous-intrigues. Les scénaristes ont travaillé !

Dialogue philosophique entre Ideko et Shimozawa. Découverte du Juche.

Le film débute par un dialogue heureux entre le jeune Shimozwa et sa mère. Celle-ci fait l'éloge des fleurs et du soleil. Une vingtaine d'années plus tard, on retrouve un Shimozawa dépité qui demande à un alpiniste de l'aider à trouver une fleur dans les Andes. L'alpiniste refuse mais change d'avis après un flahback de 20 minutes au cours duquel Shimozawa explique son projet. A la mort de sa mère, Shimozawa, apprenti horticulteur, sombre dans la déprime, tout comme son meilleur ami, Takedo, un philosophe qui rejette tout ce qu'il a appris et se retrouve dans un vide existentiel. Quelques temps plus tard, les deux amis décident de relever la tête : Shimozawa créé une nouvelle variété d'iris tandis que Takedo découvre la philosophie et l'idéologie du Juche, qui affirme que "l'homme est maître de son propre destin".

La fille de Shimozawa en pleurs. A cause de l'argent.

Ce bonheur ne dure par pour Shimozawa, qui vend tous les droits de sa nouvelle fleur. Lors d'une soirée avec son ami Yamakushi, chanteur d'opéra à succès, il découvre que sa fleur a été nommé "tsubakihime", soit la "Dame aux camélias", en référence au roman d'A Dumas, et qu'elle sert de signe distinctif pour les prostituées. Effondré, Shimozawa réalise qu'il a trahi son art floral et l'idéal prôné par sa mère défunte. ému par cette histoire, l'alpiniste décide lexandred'accompagner dans les Andes Shimozawa, à la recherche d'une fleur rare pour créer une nouvelle variété.

Un film nord-coréen sans Kim Il-sung ou Kim Jong-il ? Vous rigolez ?

Après une séquence Cliffhanger dans les Andes et une première tentative ratée de créer sa nouvelle fleur, une dizaine d'années passent. La nouvelle fleur est sur le point d'être enfin prête. Mais Shimozawa va être encore confronté à un dilemme : vendre sa création pour l'argent ou offrir sa fleur au monde entier ? En effet, Hanae, la fille de Shimozawa, compte se marier avec Ichiro, le fils d'un banquier. Or la famille de se dernier refuse ce mariage avec une fille trop pauvre. En plus de ça, Yamakushi, le chanteur d'opéra ami de Shimozawa, sans emploi et endetté, crie à l'aide. Tiraillé entre les atermoiements de sa fille et de son ami, Shimozawa appelle Takedo, devenu directeur de l'Institut International des Idées du Juche. Celui-ci vueut l'initier à l'idéologie du Juche et promet de venir lui parler. Malheureusement, atteint d'une maladie incurable, Takedo meurt. Shimozawa, bouleversé, lit alors la thèse que son ami à consacrer à Kim Jong-il.

Pyongyang de jour comme de nuit.

C'est une illumination. Shimozawa se rend à Pyongyang. Il est fasciné par la joie de vivre qu'il y règne ; c'est le paradis sur terre. Il loue la politique de Kim Il-sung et Kim Jong-il, qui cherche avant tout l'épanouissement et le bonheur du peuple.  Shimozawa retrouve également une Coréenne qu'il avait brièvement connue il y a 20 ans (une sous-intrigue du film). Après ce voyage touristique, nul doute pour Shimozawa (et le spectateur) quant à la question primordiale : vendre ou ne pas vendre sa fleur ? Peu importent le mariage de sa fille ou l'aide de son ami endetté (qui n'est étrangement complètement ignoré à la fin du film). Shimozawa offre sa fleur à Kim Jong-il, qui donne "plus d'amour maternel que tous les mères réunies". Kimjongilia.

dimanche 29 juillet 2012

Sono Sion - Himizu (2011)


Alors que Guilty of Romance est le premier film de Sono Sion a être distribué en France (depuis le 27 juillet), Himizu, primé au festival du film de Venise en septembre 2011 et sorti en salles au Japon en début d'année, est disponible depuis quelques jours sur les sites consacrés au cinéma asiatique... avant une éventuelle sortie en France, qui sait ? Depuis l'excellent Love Exposure (2008), Sono Sion a gagné en notoriété et ses films suscitent de plus en plus d'intérêt - comme Cold Fish (2010), Guilty of Romance (2011) et, justement, Himizu.

Sumida, Keiko et leurs amis réfugiés.
Sumida au milieu des décombres.
Himizu est une adaptation d'un manga de Minoru Furuya, partiellement lisible ici. Sumida, 14 ans, vit avec sa mère (vaguement prostituée) dans une maison délabrée près d’un lac où il loue des bateaux. Son père a quitté le foyer et, quand sa mère part avec son nouvel amant, Sumida se retrouve seul. Il doit alors subvenir à ses propres besoins et abandonner l'école. Un malheur n'arrivant jamais seul, ces événements ont lieu juste après le tsunami qui a dévasté une partie du Japon en mars 2011. Sumida est donc entouré par quatre personnes sans domicile - qui ont tout perdu à cause du tsunami - et vivent dans des tentes à côté du lac. Ces personnes vont tout de même se révéler d'une grand aide pour Sumida, tout comme Keiko, une camarade de classe, amoureuse de lui.

Sumida version cinéma et version manga.

L'adaptation de Sono Sion est encore plus noire et dépressive que le manga, peu distrayant à l'origine. C'est de loin le film le plus noir de Sono Sion jusqu'à présent. Si la trame du manga est reprise dans le film, Sono Sion y a apporté plusieurs changements. Tout d'abord, le Japon post-tsunami. Immédiatement après le raz-de-marée qui a causé la mort de près de 20.000 personnes, Sono Sion a modifié son script pour y inscrire et a littéralement tourné au milieu des débris et des villes sinistrées. Le film est d'ailleurs compris entre deux travellings sur le paysage désolé nippon. Ensuite, Sono Sion n'a pas gardé tous les personnages du manga. Il a ainsi supprimé des amis de Sumida, dont un auteur de manga, mais a ajouté les réfugiés vivant dans des tentes au bord du lac. Il a également fait de Yoruno Chozo, l'ami de collège de Sumida, un homme âgé qui a perdu tous ses biens depuis le tsunami. Enfin, Sono Sion a concentré l'action sur le personnage de Sumida et sa crise existentielle  tandis que le manga s'attarde plus sur des personnages secondaires.

Un peu de couleurs pour changer de la boue.
Un drapeau nazi s'est invité sur le plateau de tournage de Himizu.
Brève apparition de Yoshitaka Yuriko six ans après le Testament de Noriko.

Si la distribution du film met en avant deux jeunes acteurs débutants (dans les rôles de Sumida et Keiko), on retrouve des acteurs déjà présents dans plusieurs films de Sono Sion, notamment Cold Fish. A noter l'apparition de Yoshitaka Yuriko (actrice dans le Testament de Noriko en 2005) et de Takahiro Nishijima (le personnage principal de Love Exposure). Autre élément qui prouve que l'on regarde un film de Sono Sion : l'usage récurrent de la musique classique (le "Requiem" de Mozart et l'"Adagio for strings" de Samuel Barber. Quand sono Sion choisit un thème musical, il n'hésite pas à l'employer à la moindre scène dramatique. Et ces scènes sont légion dans Himizu ! Après la musique, la littérature. Si Guilty of Romance (clin d’œil aux Crimes de l'amour du marquis de Sade) tourne autour d'un livre de Franz Kafka, Himizu se développe autour de la "Ballade des menus propos" de François Villon. Un poème sur la connaissance de soi que récitent Sumida et Keiko :
Je connais bien mouches en lait,
Je connais à la robe l'homme,
Je connais le beau temps du laid,
Je connais au pommier la pomme,
Je connais l'arbre à voir la gomme,
Je connais quand tout est de même,
Je connais qui besogne ou chôme,
Je connais tout, fors que moi-même.
Lors d'un entretien en 2010, Sono Sion avait en effet parlé de son admiration pour la littérature française dont... François Villon !

Sumida et Keiko. La nuit.

Au final, Himizu s'avère être un seishun eiga [film sur la jeunesse] post-Fukushima violent et dépressif. D'où l'omniprésence des décombres, des détritus, de la boue, et la difficile libération de la parole des personnages. D'où les répétitions et les ressassements des mêmes paroles, comme un mantra. Sono Sion n'était jamais allé aussi loin dans son thème de la destruction de la famille ou de toute autorité. Himizu est un film radical sur la faillite d'une société : les parents n'élèvent plus leurs enfants, l'école n'est pas nécessaire, même l'amour n'a plus de sens. Pendant un temps, seul le meurtre est envisagé comme la seule façon de servir la société.

Le cri final.

 Certains trouveront Himizu excessif et trop "criard" mais depuis Suicide Club en 2001, Sono Sion s'avère être justement le cinéaste de l'excès par excellence : du drame familial (le Testament de Noriko) au gore (Cold Fish), en passant par l'onirisme (Into a Dream), le grotesque (Strange Circus) et l'amour fou (Love Exposure). Le nouveau film de Sono Sion s'appelle Land of Hope... on peut donc s'attendre à un film moins sombre.

jeudi 26 juillet 2012

Les nouvelles publications de FJ Ossang

L'actualité de l'écrivain et cinéaste FJ Ossang est fort riche en ce premier semestre 2012. On compte pas moins de trois publications : deux recueils et un inédit.
  1. Ténèbres sur les planètes aux éditions Mona Lisait : un recueil de cinq textes initialement publiées aux éditions Derrière la salle de bains entre 1995 et 2006.
  2. Hiver sur les continents cernés : une anthologie des textes publiés entre 1977 et 1979 dans la revue Cée, aux éditions Le Feu Sacré. Ce recueil est présenté comme le premier volume des Archives Ossang. On peut donc espérer une prochaine publications d'autres textes de FJ Ossang, aujourd'hui difficilement trouvables. Jusqu'à espérer une réédition du roman Génération Néant, depuis trop longtemps épuisé ?
  3. Fragments de possession : un texte inédit publié aux éditions Derrière la salle de bains.

Voici un extrait d'Unité 101, initialement publié en 2006 et extrait de Ténèbres sur les planètes :

Obscurité de l'univers. Un brouillard morne, gorgé d'une pluie démentielle, ténue, régulière, invincible dans la monotonie de son bruit feutré, conduit le jour hors de terre. Je porte encore le goût de cette fille sur moi, la poissée du désespoir tâtonne aux points sensibles d'un être inadvenu - depuis combien de siècles déjà ! Quand naîtrai-je au monde !

Extraordinaire silence cristalin, jamais entendu ailleurs, d'où se détache le pesant bruit du cœur - bomp, bomp, la buée sort des lèvres, bomp...
Les prédateurs et les persécutés reposent dans les buis glacés.

Averses de neige. Cornes de brume annonçant les dieux casqués - je ne suis pas si vieux, l'énergie demeure que rien ne somme. Jamais plus un travail, juste une mission. Trouver le secret de l'Unité 101, forer le passage entre les codes, libérer le virus final - ou mieux : établir le film de tout ça... Bomp, bomp - il fait froid - pas une âme sous dieu.

Une horde de corbeaux s'est réunie sur les vieux chênes en haut de la colline. Cris mortels, quelques individus s'agitent et sillonnent nerveusement le contre-jour de gibet où l'armée du soir tient conseil - tuez, tuez, non : percez les yeux de tous. Pluie oblique mêlée de grêle, température glacée du lac où se noyer.
Lire aussi :

- FJ Ossang, Fernando Pessoa et Dom Sebastiao
- FJ Ossang raconte ses débuts dans le cinéma
- FJ Ossang - Les 59 Jours (1999)

mardi 24 juillet 2012

Joël Séria - Mais ne nous délivrez pas du mal (1971)

En 1971, Joël Séria réalise son premier film, aujourd'hui plus ou moins devenu culte : Mais ne nous délivrez pas du mal. Un film qui fut totalement interdit pendant neuf mois malgré une projection au festival de Cannes. Le film sortira finalement en salles au printemps 1972. Avec son superbe titre, Mais ne nous délivrez pas du mal est un film coup de poing au scénario très simple : deux jeunes filles issues de familles bourgeoises catholiques pratiquantes de la France rurale font vœu de faire le mal autour d'elle. Un film sous l'influence licencieuse de Baudelaire, Lautréamont et Jean de Boschère.

Lecture nocturne du livre malsain de Lautréamont.
Auto-érotisme : SebastiAn apprécie.

Les deux jeunes filles, Anne et Lore, sont interprétées par Jeanne Goupil (future femme de Joël Séria) et Catherine Wagener. Révulsées par l'éducation religieuse et le conformisme de leurs parents, les deux jeunes filles, pensionnaires du collège catholique Sainte-Marie, décident de vouer leur vie à Satan et de faire le mal. Leurs actes vont progressivement devenir de plus graves et lourds de conséquences : dénonciation mensongère de camarades de classe, fausses confessions au curé, meurtres d'animaux, célébration de messes sataniques, vols, incendies et provocations sexuelles envers la plupart des hommes croisés. Une spirale maléfique jusqu'à un acte final fort surprenant.

Messe à la gloire de Satan.

Dans un entretien pour Excessif.com, Joel Seria revient sur son premier film, celui qu'il affectionne le plus : "J’ai reçu une éducation religieuse et j’ai été dix ans en pensionnat chez les curés. J’ai raconté dans Mais ne nous délivrez pas du mal ce que je ressentais lorsque j’y étais. J’avais un conflit très important avec ma famille, surtout avec mon père. J’ai fait dix collèges tellement j’étais insupportable [...] Lorsque j’étais au collège, j’avais aperçu la photo d’une fille qui, avec sa copine, avait tué ses parents à coup de pierres en Nouvelle-Zélande. Dans mes souvenirs, elle était très jolie. Et je me demandais comment il était possible qu’il y ait autant de violence dans un visage aussi innocent. J’étais tellement marqué par l’histoire de cette fille et cette éducation religieuse que je les ai utilisées pour réaliser mon premier long-métrage [...] Il y avait la dimension sexuelle qui me fascinait par ailleurs et l’atmosphère a été nourrie par cette sensation d’emprisonnement, cette révolte contre l’éducation religieuse et celle des parents, ce sens du péché à la con qu’on nous avait donné. Mais ne nous délivrez pas du mal est un film fort dans lequel je me suis libéré".

La provocante Jeanne Goupil.
Cet homme marié respectable succombera-t-il à la tentation ?

Un extrait de Mais ne nous délivrez pas du mal :


Par la suite, Joël Séria réalisa d'excellents films plus comiques sur la beaufitude et la libération sexuelle, notamment avec l'acteur Jean-Pierre Marielle : Charlie et ses deux nénettes (1973), Les galettes de Pont-Aven (1975), Comme la lune (1977). Dialogues décapants et tranches de rigolades assurés !