dimanche 22 avril 2012

Pourquoi les femmes mariées font les meilleures artistes américaines

Dans son numéro du 30 décembre 1921, Cinémagazine publie une tribune de l'actrice Florence Vidor, femme du réalisateur King Vidor, sur le mariage et la carrière cinématographique. Un point de vue fort intéressant.

Florence Vidor.

Un toute jeune mariée de mes amies me confiait, il y a plusieurs mois, son désir d'être artiste cinégraphique et me faisait en même temps part de ses craintes.

Son mariage ne serait-il pas un obstacle à  sa carrière ?

La naïve, l'aveugle petite chose. Ainsi elle était dupe des absurdités que se plaisent à débiter certains journalistes ? Je la raisonnai de mon mieux, aussi est-elle maintenant une petite artiste très appréciée. Je ne puis naturellement pas vous dire son nom. Si elle atteint un jour la célébrité, une habile publicité informera l'univers qu'elle vient d'avoir 19 ans et, comme son mari n'est pas un artiste en renom, mais un honnête businessman, son existence sera tenue secrète.

Des nombreuses illusions que nourrit le public, deux sont particulièrement fréquentes. La première, sur l'extrême jeunesse de nos principales stars ; la seconde sur le célibat volontaire auquel elles se vouent par amour de l'art. Faites une liste de vos favorites et je suis certaine que les vraies grandes artistes qui figureront sur cette liste seront tout au moins près de la - hum! - trentaine. Pratiquement, presque toutes sont mariées. Voyez Nazimova, Mary Pickford, Norma Talmadge, Maë Murray, Gloria Swanson, Elsie Ferguson, Madge Kennedy, Priscilla Dean, Anita Stewart, Marguerite Clark, Dorothy Philips, Corinne Griffith, Alice Joyce, Ethel Clayton, Vivian Martin, Jane Novak, Maë Marsh, Viola Dana, etc. Je parle d'après les faits, non d'après les fables.

La délicieuse Mae Murray.

Le mariage entrave rarement une carrière si le désir d'arriver est fort et sincère, c'est pourquoi je conseille à n'importe quelle jeune fille de se marier si cela doit être. Je crois pouvoir prouver à mes lecteurs que les plus grandes artistes sont celles qui aiment le plus et, à mon avis, une jeune fille doit apprendre à aimer ; c'est le premier pas dans la direction de la scène et de l'écran. Je puis aussi prouver qu'il est presque impossible à une femme jeune et non mariée, que ce soit au point de vue psychologique ou spirituel, d'être une bonne artiste, alors qu'une femme mariée, d'une trentaine d'années, peut, avec l'aide d'un léger maquillage, interpréter sympathiquement cette période de la vie lorsqu'une jeune sans expérience ne peut naturellement pas tenir le rôle d'une femme plus âgée qu'elle.

Le mariage apporte une aide au développement artistique et esthétique. Une artiste heureusement mariée est plus pate à posséder la pondération, l'élasticité, l'énergie mentales. Elle est toute désignée pour exprimer la vie dans ses plus pathétiques et douloureux moments.

L'écran est le reflet de notre manière de vivre, car chaque geste, chaque mouvement communique à notre audience le langage muet, le langage sublime de toute création, qui est lui-même la création, l'amour, Dieu.

Personnellement, je suis mariée depuis sept ans à mon auteur-directeur King Vidor, nous avons une fillette de 2 ans, le portrait de son père, ce qui ne m'empêche pas - j'étais près de l'oublier - d'avoir, pour le public, toujours 19 ans.

jeudi 12 avril 2012

Jean Parvulesco : Au grand soleil de minuit


Ci-dessous, un poème de Jean Parvulesco reproduit dans le Cahier Jean Parvulesco, publié en novembre 1989 par les éditions des Nouvelles Littératures Européennes. Un cahier aujourd'hui difficilement trouvable où l'on trouve notamment des poésies, des articles sur l'art et le cinéma, des écrits géopolitiques, des notes sur Ezra Pound, ainsi que le premier texte d'importance publié par Jean Parvulesco : un texte sur George Bernanos pour les Cahiers de l'Herne en 1967.

Au grand soleil de minuit

Gens Julia

Quelle plus belle flamme, sous le chapiteau d'acier
qu'abrite morganatiquement la douce et belle féminité de
l'Adorable Loge de la Souvenance ? Inconsolables, nous
labourons, ou comme en songe, nos terres d'impuissance
tout bas, plus bas encore sur le domaine de la Maudite

Engeance que nous sommes devenus, le jour de son départ
pour la Grande Ourse ; nous dissolvant dans les airs, et
aveuglés, chaque printemps avec lui nous choisissons
le Même Sentier en Feu, l'entrée dans la muraille
des oriflammes rouges et blanches, qui à l'orée du non-être
reconstituent le très secret passage sous le Portique des
Noirs, et la grandeurs suprêmement dénigrée de ceux qui se
confient à l'abreuvoir des Anciens Dieux. Héroïquement, le
chant d'une seule fidélité silencieuse, soleil des glaciers
au tranchant des gouffres. Comment peuvent-ils vouloir qu'on
l'oublie, lui vie de notre vie et moelle incandescente de
nos os, courant de fond de la rivière en nous de l'immémoire ?
Quelqu'un s'écrie, quand la marée des anciens sanglots réveille
sous ces bouleaux, Jules et son double : que l'ombre immense de
l'Aigle Hypnotique de l'Atlantide nous rompt encore une fois
le souffle, et fasse frémir les forêts hallucinées de nos
poitrines dénudées en cette nuit ardente, que l'espérance
nous revienne avec la violence montante de son regard qui
flamboie au-dessus du grand Continent, au-dessus des hautes
vallées d'Engadine, au-dessus des neiges noires de l'Himalaya.

samedi 7 avril 2012

L'amour est dans le pré en Corée du Nord : Urban girl comes to get married (1993)

urban girls come to get married
Suite des chroniques sur le toujours étonnant cinéma de Corée du Nord. Comme Bellflower (1987), Urban girl comes to get married est un film qui exalte les bienfaits de la vie rurale. Ce retour à la terre était devenu une thématique récurrente de la Corée du Nord à l'époque, en raison des famines à répétition et du manque de production locale. Le gouvernement du Juche voulait inciter les citoyens à quitter les villes (et le travail industriel) pour retourner dans les campagnes et produire de la nourriture (élevage de canards, semences de blé...). Urban gitl comes to get married, visible entièrement sur Youtube, raconte donc l'histoire de Ri Hyong, une couturière de la ville, envoyée avec son équipe en "voyage éducatif" dans le rustique village d'Unchon.
urban girls come to get married
Blur : Modern Life is Rubbish.
urban girls come to get married
Blur : Parklife.

Le message politique passe au second plan, derrière l'intrigue (100% prévisible) de l'histoire d'amour entre la belle et sophistiquée Ri Hyong et le paysan crotté Song Sik, éleveur de canard. Pour faire simple, Urban girl comes to get married est ni plus ni moins que l'ancêtre de l'Amour est dans le pré (alias Farmer wants life en Angleterre) !

urban girls come to get married
La Corée du Nord est très rock, qu'on se le dise.
urban girls come to get married
Song Sik : funky drummer.

L'histoire sentimentale très cul-cul - du marivaudage juchéen au pays du matin calme - montre quelques particularités idéologiques socio-économiques : le père de Song Sik, qui dirige un atelier de couture en ville, fait tout pour que son fils épouse Ri Hyong. Sa motivation : que son fils décide enfin de quitter la campagne et puisse utiliser sa force physique à l'usine citadine. Le mariage est donc avant tout un prétexte économique. De son côté, la belle Ri Hyong, qui souhaite devenir couturière de renom, est au début réfractaire à vivre à la campagne mais elle change progressivement d'avis quand elle découvre les motivations héroïques de Song Sik, qui se complait dans la fange et les canards.

urban girls come to get married
Ri Hynag et sa copine : les groupies des "boys in the band".

Le discours politique reprend le dessus : Song Sik, travailleurs acharné, refuse de quitter sa campagne natale car il veut en faire "une terre communiste idéale" et "un Paradis sur terre". Song Sik reproche même à son père de travailler en ville. Émue par tant de noblesse d'esprit et de cœur, Ri Hyong décide de rester vivre à Unchon, au milieu des canards et de la boue, afin de créer l'idéal communiste auprès de son mari. Le message du Juche Kim Il-sung est bien passé.

Jean Parvulesco - Le Manteau de glace (1988)

jean parvulesco manteau glace

Publié un an après le roman La Servante portugaise, Le Manteau de glace, qualifié de "récit", est en réalité un traité poétique d'une vingtaine de pages, suivi de treize poèmes de Michel Marmin. Comme dans les premiers écrits de Jean Parvulesco (ses poésies), l'écriture, volontairement alchimique et oraculaire, est difficile de compréhension. A côté, Stéphane Mallarmé est bien plus pénétrable. Jean Parvulesco cite Ezra Pound, Rimbaud, Schopenhauer, Ingmar Bergman et le méconnu Hans Carossa pour théoriser les concepts de "poésie rouge", "poésie noire" et "poésie blanche". Qu'est-ce à dire ? Citons.

Si la poésie rouge est affirmation limpide du règne du soleil dans sa gloire, ou bien alors sauvegarde et maintien immémoriel du chant dans les temps de la détresse de ses nuits profondes, la poésie noire, de son côté, en appelle aux théurgies négatives de la mise en ténèbre des cieux.

Vient ensuite la poésie blanche, matérialisée par les écrits de Michel Marmin. Attention : ces extraits sont sortis de leur contexte, ce qui en complique la compréhension.

La poésie blanche est la poésie de la sur-signification, la poésie de la vitrifaction solaire et apocalyptique des signes de la fin et de leur dédoublement en non-signes, porteuse des paroles vertigineusement transparentes qui font à n'en plus finir qu'il y ait une fin après la fin même de toute fin.

Et c'est encore elle, la poésie blanche,qui veille pour qu'au plus haut degré de la désignification cosmogonique des paroles sacrifiées et se débattant, mais consentantes, dans l'holocauste de leur propre sens virginal, dans les champs péréclités de leur honte et de leur propre immémoire agonisante, celles-ci, les paroles d'après toute fin, proclament sans cesse, ou plutôt tant que cela durera, le seul historial trans-historique de la falaise et de son lit de glaciation, tout en confessant, comme dans un songe légendaire, la fracture de l'échine du non-être et le déversement des moelles qui doivent suivre, qui suit - en nous-mêmes, au tréfonds des cieux - la violation mystagogique du Septième Sceau et tout ce que cela engage, provoque et déclenche, et avec quelle primitive et royale sauvagerie.

mardi 3 avril 2012

Aphorismes de Dominique de Roux

En 1972, l'écrivain, éditeur et ami de la révolution Dominique de Roux publiait Immédiatement, un recueil d'aphorismes, de fragments biographiques et de considérations politiques et poétiques. C'est souvent brillant, parfois cruel. On aimerait un Dominique de Roux aujourd'hui mais l'époque ne s'y prête vraisemblablement pas. Voici quelques aphorismes rouxiens.

dominique de roux ezra pound hallier
Dominique de Roux, Jean-Edern Hallier et Ezra Pound à Venise.

Tellement assassin qu'il avait tenté de se tuer mais pas en termes de suicide.

Le surréalisme, dévergondage mineur, aura au moins ouvert les vannes de la grande imbécilisation finale, donné aux mots leur plus juste valeur d'inutilité.

Du néant au néant, Michel Bernanos est passé en trombe. Un bolide.

La haine, dimension bourgeoise de la rage.

Ce qui est divin ne vient qu'après la mort des Dieux.

Con : un imbécile qui prend ses responsabilités.

Le snobisme s'est étendu aux masses.

Quand on est matérialiste il faut être Monte-Cristo ou rien.

La philosophie, cet hôpital pour poètes tombés dans la mouscaille.

Si je prends le pouvoir, ne serait-ce qu'une semaine, la première chose que je ferais : descendre moi-même au fusil-mitrailleur dans les fosses de Vincennes une soixantaine de P.D.G.

Souvent l'intelligence n'est qu'une saloperie à la surface de l'âme.

La trahison est complémentaire du secret.

La tragédie c'est l'avènement de l'inconcevable dans chaque existence.

Les cathédrales étaient déjà des Caps Canaveral mais vers l'autre monde.