dimanche 30 octobre 2011

Volker Schlöndorff - A Degree of Murder (1967)

Anita Pallenberg Degree of Murder
En 1967, Volker Schlöndorff, jeune réalisateur du Nouveau Cinéma allemand présente au Festival de Cannes son deuxième long-métrage : Mord und Totschlag (Vivre à tout prix en français, mieux connu sous le titre international A Degree of Murder). L'année précédente, le premier film de Schlöndorff, Les Désarrois de l'élève Törless, adapté du roman de Robert Musil, avait déjà obtenu le Prix de la Fédération Internationale de Presse Cinématographique au Festival de Cannes au Festival de Cannes. En 1979, Schlöndorff sera auréolé de la Palme d'Or avec Le Tambour.

Anita Pallenberg Degree of MurderLa belle et douce Anita Pallenberg.

Anita Pallenberg Degree of MurderHans Peter Hallwachs et Anita Pallenberg.

Aujourd'hui, Vivre à tout prix jouit d'une notoriété parmi les amateurs des Rolling Stones car il met en scène Anita Pallenberg, petite amie de Brian Jones au moment du tournage et petite amie de Keith Richards au moment de la sortie du film. En plus de cela, la musique de Vivre à tout prix est composée par Brian Jones, entouré d'un "super groupe" réunissant Jimmy Page (guitariste des Yardbirds et futur Led Zeppelin), Nicky Hopkins (pianiste récurrent des Stones à l'époque) et Kenny Jones (batteur des Small Faces). Une musique blues teintée d'expérimentations au sitar, à l'orgue et à l'autoharpe, dans la lignée de la musique des Rolling Stones de l'époque (Aftermath, Between the Buttons). Malheureusement, cette musique de film est toujours inédite, sans doute pour des obscures raisons de droits d'auteur. Pis, c'est le film lui-même qui n'a jamais été restauré et publié en VHS ou DVD. Restent des copies pirates de fort mauvaise qualité.

Anita Pallenberg Degree of Murder
Au lit avec Anita Pallenberg.

Anita Pallenberg Degree of MurderAnita Pallenberg et Hans Peter Hallwachs à l'arrière d'un taxi.

Le scénario de Vivre à tout prix est simple : en pleine nuit dans son appartement, Marie (Anita Pallenberg) tue par inadvertance son petit ami Hans qui la brutalisait. Marie décide de ne pas prévenir la police et engage deux hommes pour faire disparaître le corps de la victime. Marie tombe vaguement amoureuse des deux hommes. Le film de Volker Schlöndorff, pas extraordinaire, s'inscrit dans la mouvance du cinéma de la contre culture : musique rock, belle jeune femme indépendante et insouciante, mini-jupe, dialogues simples, économie des moyens de production, etc. Vivre à tout prix est enfin le premier film d'Anita Pallenberg. Elle n'y brille que par sa beauté et sa fraîcheur. Par la suite, elle jouera notamment dans Barbarella de Roger Vadim, Dillinger est mort de Marco Ferreri, Performance de Nicolas Roeg (film sulfureux avec Mick Jagger) et Le Berceau de cristal de Philippe Garrel.

samedi 29 octobre 2011

Marc-Edouard Nabe - L'Enculé

Vingt-deux mois après son pavé de 686 pages, L'Homme qui arrêta d'écrire, Marc-Édouard Nabe revient avec L'Enculé, premier roman sur l'Affaire DSK, qui passionna les journalistes et les futurs électeurs français pendant près de cinq mois, du 14 mai (jour du viol de Naffisatou Diallo au Sofitel, à New York) au 18 septembre (soir de l'entretien déjà mythique entre DSK et Claire Chazal, sur TF1). L'Enculé : un beau bébé de 250 pages, beau papier, belle typographie et même maquette de couverture que L'Homme qui arrêta d'écrire. Trois semaines après sa publication, le livre a peu fait parler de lui : un article de Patrick Besson (un ami) dans Le Point (hebdomadaire dirigé par un autre ami, Franz-Olivier Giesbert) et un entretien sur Europe 1 dans l'émission "Des clics et des claques". C'est maigre pour un livre consacré à "l'événement de l'année" !

Nabe DSk L'enculé
Nabe : éternel commentateur de l'actualité

L'Enculé : livre opportuniste sur un sujet qui a défrayé la chronique ? C'est vite oublier que Nabe n'a jamais cessé de la commenter, l'actualité ! Dans son Journal intime, évidemment, parsemé de commentaires sur les événements politiques et médiatiques quotidiens ; mais aussi dans ses articles pour L'Idiot International entre 1989 et 1990, et L'Imbécile de Paris en 1991 ; dans Une Lueur d'espoir (sur les attentats du 11 septembre 2001) ; dans Printemps à Bagdad (sur l'invasion de l'Irak par les États-Unis) ; dans ses articles publiés dans son journal La Vérité (et réunis dans le recueil J'enfonce le clou) ; dans ses huit tracts collés sur les murs de Paris entre juillet 2006 ("Zidane la racaille") et janvier 2009 ("Enfin nègre !") ; et donc, en octobre 2011, dans L'Enculé, sur l'"affaire Dominique Strauss-Kahn".

Ce livre sur l'affaire, s'il est inattendu, n'en est pas moins cohérent. Il est d'autant plus inattendu que lors de l'émission "Ce soir ou jamais" du 2 mai dernier, consacrée à la mort de Ben Laden, Marc-Édouard Nabe avait déclaré écrire un livre sur l'après-11-septembre et le printemps arabe. Il a donc préféré le printemps new-yorkais, en compagnie de Strauss-Khan, Diallo, Sinclair, Brafman, Taylor et compagnie.

DSK Dialo SofitelReproduction chinoise des neuf minutes de la suite 2806 du Sofitel de New York.

Nabe : mystique de l'anus, thuriféraire de la sodomie

Le titre L'Enculé sonne d'abord comme une énième provocation - hilarante - de Nabe. C'est sans compter sur l'habitude qu'à Nabe de faire référence à l'anus et à l'enculage depuis trente ans. En voici quelques extraits, pour rafraîchir la mémoire des amnésiques :

Dans Au Régal des vermines, déjà, Nabe exprimait son amour des Noirs et du jazz : "j'espère que les Noirs vont finir par enculer tous les Blancs" (phrase - tronquée - préférée de Gérard Miller)

Dans Une Lueur d'espoir, Nabe comparait le crash des avions sur le World trade Center à l'enculage du monde occidental : "évidemment c'est sexuel. La mort ne demande pas à la vie son avis lorsqu'elle l'encule. Sodomie surprise ! Pas le temps d'écarter les fesses, quelque chose est déjà dedans".

Dans le chapitre "Sodomie chez Saddam" de Printemps de Feu, Nabe enculait Schéhérazade : "juste à côté de son sexe, le revoilà : l'Autre ! Le Seul ! Le Point d'extravagance ! Le Joyau des Bijoux ! L'endroit le plus chic de l'Être ! La noblesse du Moi à l'état pur !"

Et dans L'Enculé, donc, avec, au hasard, ces quelques phrases de coït entre Dominique et Anne dans l'appartement luxueux du 153 Franklin Street : "je la retournai, écartai les deux fesses flasques de son gras cul, et plaçai ma queue de présumé innocent entre. Comme dans du beurre, et sans beurre (je n'ai jamais compris cette mythologie du beurre venue du Dernier tango à Paris). Première lambada à Manhattan ! L'anus d'Anne me happa comme un siphon, je me retrouvai en deux coups de cuillère à pot au fin fond de son rectum".

DSK Anne Sainclair
Anne Sinclair et DSK : le couple le plus balèze de l'univers.

L'Enculé

L'Enculé
est un roman, c'est écrit sur la couverture. Le lecteur se retrouve donc la tête de DSK, à partir de son réveil, le 14 mai, dans sa suite du Sofitel. C'est donc une sorte de monologue intérieur, plus dans la manière de Les Lauriers sont coupés d’Édouard Dujardin (1887) que du monologue de Molly Bloom dans Ulysse de James Joyce (1922). Dominique Strauss-Khan nous apparaît tour à tour répugnant, obsédé sexuel pathologique, sensible, attendrissant et finalement, très humain. La sympathie du lecteur pour DSK vient surtout de l'entourage détestable qui gravite autour du président déchu du FMI, notamment sa femme Anne Sinclair, ultra-sioniste névrosée et guerrière, et son avocat Benjamin Brafman, cynique plus ultra.

L'Enculé est un roman éminemment drôle, surtout dans sa première moitié : le Sofitel, le déjeuner qui s'en suit avec sa fille Camille (qui en prend plein la tronche), son arrestation, sa détention à Rikers Island (lire la scène dans laquelle un DSK diarrhéique se torche avec les pages de La Nuit d'Elie Wiesel - scène pourtant lue avec dégoût lors de l'émission "Des clics et des claques" d'Europe 1), son installation au 153 Franklin Street, sa lassitude envers Anne Sinclair, etc... Simplement une phrase, pour ne pas dévoiler tout le livre, cette scène dans laquelle DSK, libéré de sa femme, peut enfin passer plusieurs jours tout seul : "Je m'allonge sur le divan du salon, les yeux fermés, mon chien à mes côtés, et je m'écoute trois heures de chants SS".

DSK Sofitel DialoDSK et ses fameuses chemises bleues.

Tout roman qu'est L'Enculé, on ne peut pas ne pas se demander si Nabe risque un procès pour injure ou diffamation. On sait les gens tellement procéduriers. Au détour de la page 74, Nabe y fait allusion, avec amusement. Anne Sinclair dit à son mari : "Rachel aussi l'aime bien, ce Nabe... Je ne sais pas ce qu'elle lui trouve. En tout cas, qu'il ne s'avise pas d'écrire sur ton affaire. Sinon je lui fous un procès un cul !" Alors, procès ? Comme a conclu DSK son entretien TV avec Claire Chazal : "on verra... !"

vendredi 28 octobre 2011

Le dandysme par Luc-Olivier d'Algange

Dans son essai poético-philosophique L'Ombre de Venise (le premier titre du livre de Nietzsche qu'est devenu Aurore), Luc-Olivier d'Algange livre son opinion sur le dandysme. Rappelons que Luc-Oliver d'Algange est le cofondateur, avec F.J. Ossang, de la revue Cée et de la revue Style, avec André Murcie. Collaborateur à la revue La Place Royale, c'est également un connaisseur de l’œuvre de Jean Parvulesco. Dans L'Ombre de Venise, Luc-Oliver d'Algange écrit donc :

luc-olivier d'algange
Il y aurait beaucoup à dire sur le dandysme en tant que révolte contre le nivellement par le bas, contre la massification qui sont les symptômes, sinon les causes, du monde moderne, tel qu'il triomphe aujourd'hui dans la mondialisation technocratique... Le dandysme d'Oscar Wilde, par exemple, loin de se réduire à une pure culture de la singularité, peut aussi être compris comme une ascèse. les dandies se rapprochent souvent d'une certaine forme de catholicisme. En témoigne l'admirable De Profundis d'Oscar Wilde. La puissante intellectualité, forgée à la lecture de Saint-Thomas et la grande somptuosité des œuvres et des rites ne peuvent que séduire le dandy qui envisage le monde moderne, en marche, comme une marée d'ennui et de banalité. A cet égard, le dandy appartient beaucoup plus à la catégorie des "ascètes" qu'à celles des "hédonistes". Le dandy refuse la massification, il refuse aussi cette forme inférieure d'individualisme qui fait de la subjectivité et de la spontanéité naturelle de l'individu "moderne" une sorte d'idôlatrie abominable... Mais lorsque l'on vous traite de dandy, c'est rarement dans cette perspective religieuse et étaphysique ; c'est tout au plus une façon polie de ramener vos propos à une insignifiance rassurante... Or, j'y insiste, rien ne m'importe que le péril du Vrai et le vertige du Bien. Le dandy, qui se fait une ascèse de la recherche de la Forme parfaite, le dandy qui ritualise ses gestes, qui introduit un fanatisme dans des questions en apparence futiles ne tente rien de moins que de défier ce monde dominé par les classes moyennes dont l'égoïsme, la vulgarité et la brutalité monstrueuse sont étayés par une certitude sans faille de leur "bon droit" !


fernando pessoaFernando Pessoa, écrivain à succès post-mortem.

Le véritable dandy se voit dans une citadelle assiégée. la beauté du geste, de l'apparence, le sens aigu de la Forme, surtout lorsqu'ils suscitent la réprobation outragée du bourgeois, engagent un combat, voire un drame d'une importance et d'une violence extrême. Le style loin d'être un ornement, est l'ultime Bien. Ce beau que l'on défend est le secret de la bonté métaphysique. Lorsque les barbares de l'intérieur ont triomphé sur tous les fronts, le Style est l'arme dont la possession assure la possibilité d'un recours, d'une recouvrance... Ce fut le dandysme de ceux qui furent d'abord de grands poètes et de grands métaphysiciens, voire de grands historiographes comme Barbey d'Aurevilly. Ce dandysme ne se réduit pas à une singularité exacerbée, accordée au libéralisme bourgeois, dans le genre des créateurs de mode, mais s'aventure sur les voies, infiniment plus mystérieuses, d'une quête d'objectivité à travers le Masque, que l’œuvre de Fernando Pessoa réalisera dans ses ultimes conséquences.

jeudi 27 octobre 2011

Sono Sion - I Am Keiko (1997)

Sono Sion I Am Keiko
En 1997, le réalisateur nippon Sono Sion réalise I Am Keiko (Keiko Desukedo), après un hiatus de cinq ans au cours duquel il s'est investi dans le mouvement de poésie urbaine d'avant-garde Tokyo GAGAGA. C'est son premier long-métrage depuis The Room (1992). pour en savoir plus sur la biographie, lire cet entretien-fleuve réalisé en février 2010.

Sono Sion I Am KeikoPremier plan du film : Keiko Suzuki.

Sono Sion I Am KeikoHommage à la France ? Un paquet de Gauloises bleues traîne sur la table.

Pour qui a déjà les films comme Suicide Club (2001), Love Exposure (2008) ou Cold Fish (2010), il sera impossible de déceler la "patte" de Sono Sion. Proche de son premier court-métrage I Am Sono Sion ! (1985, dont voici un extrait dans lequel un Sono Sion hystérique se fait tondre le crâne), c'est-à-dire assez expérimental, I Am Keiko a la particularité de mettre en scène une seule actrice, Keiko Suzuki, une jeune fille cloîtrée dans son appartement et obsédée par le temps qui passe (il y a un réveil ou une horloge dans la plupart des plans). A la mort de son père, la jeune femme se met soudainement à enregistrer chaque minute de ses trois dernières semaines précédant son 22ème anniversaire.

Sono Sion I Am KeikoLe réveil : objet fétiche du film.

Sono Sion I Am KeikoUn appartement épuré.

Sono Sion I Am KeikoLèvres de Keiko. Quel jour étrange.

Sono Sion I Am KeikoJohnny Thunders chante : "Get off the phone".

Sono Sion I Am Keiko
Le travelling du film : Keiko dans la neige.

Le film consiste en une succession de plans fixes : un premier plan fixe de quatre minutes sur le visage, de face, de Keiko versant une larme ; puis un plan fixe de six minutes sur un réveil rouge, avec la voix de Keiko qui explique qu'elle est née le 8 décembre 1973 à 0:12 et qu'elle aura 22 ans dans trois semaines. Keiko compte à plusieurs reprises jusqu'à 60. I Am Keiko est le film parfait pour apprendre à compter jusqu'à 60 en japonais. Il ne se passe pas grand chose dans le film puisqu'il ne se passe pas grand chose dans la vie de Keiko. Les plans fixes s'accumulent. Pour rompre la monotonie, Sono Sion et en scène une semaine de Keiko en imaginant une parodie de journal TV dans lequel une Keiko déguisée raconte ses journées. L'avant-dernière scène est un travelling de plus de sept minutes dans lequel Keiko marche dans la neige, un parapluie rouge à la main. Le film se termine par le plan fixe du réveil rouge et le décompte de la fin du film.


Dans une parodie de journal TV, Keiko raconte un de ses journées.